lundi 29 septembre 2014

Pauvert n'est pas en enfer



On nous a beaucoup parlé ce week-end de l'anniversaire de Brigitte Bardot, 80 ans, qui ne m'a pas du tout ému, cette femme ayant politiquement mal tourné. En revanche, j'ai été attristé par une disparition, un nom beaucoup moins connu, qui ne dira sans doute rien à certains : Jean-Jacques Pauvert, 88 ans, éditeur.

C'était un homme libre, non conformiste, qui a été le premier à publier les oeuvres du marquis de Sade. Aujourd'hui, c'est banal : dans n'importe quelle librairie, vous trouvez ces ouvrages qui, près de deux siècles après la mort de l'auteur, faisaient encore scandale. A l'heure où le porno passe à la télé, Sade ne choque plus personne. Qui le lit encore ? Pourtant, c'est un grand écrivain, un grand républicain (et un petit philosophe, ce qui est encore mieux que pas être philosophe du tout).

Pauvert a eu le courage d'éditer une littérature qui demeurait cachée, censurée ou moralement condamnée. Il a publié aussi bien des écrivains d'extrême gauche (Guy Debord) que d'extrême droite (Lucien Rebatet). Sa personne et ses engagements nous font comprendre que l'art est une libre activité, qui ne supporte aucune limite (pourvu que ce soit de l'art, et pas une vulgaire propagande).

Cet hommage vient à point nommé. Nous vivons une époque qui souffre d'une restriction des libertés. Ce qu'on appelle le "politiquement correct" fait des ravages. S'y ajoute une sorte de moralisme, de puritanisme très répandue. C'est fou ce qu'il y a de curés depuis qu'il n'y a plus de curés ! Les remontrances, les leçons, les mises en demeure, les injonctions à s'excuser sont légions. Un mot de trop, un propos qui heurte la susceptibilité, une image qui froisse les vanités et vous voilà rapidement devant la justice à devoir vous expliquer. Mon maître, parmi d'autres, c'est Pauvert, c'est la libre pensée, sur ce blog, dans la presse ou en politique : ne jamais renoncer à dire ce qu'on pense, dans la forme que l'on s'est choisi. Et peu importe si toute une ribambelle de momies indignées vous poursuivent pour vous condamner.

S'il existe un autre monde, Jean-Jacques Pauvert est-il en ce moment en enfer, au milieu des flammes, en compagnie du marquis de Sade ? Ce n'est pas si sûr ... Les hypocrites à la vertu faussement outragée ont sans doute plus que lui, plus qu'eux deux, leur place dans les marmites du diable. Pauvert a fait sortir toute une littérature de l'enfer, ce lieu qui désignait autrefois les ouvrages interdits à la lecture, ce n'est pas pour le rejoindre outre-tombe. J'en suis sûr, Pauvert était trop libre pour se retrouver parmi les âmes damnées. Mais si j'étais à la place de Bardot, je m'inquiéterais ...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Histoire d'O, ça devait être au début des années 60 je crois; ça se prêtait "sous le manteau"; quand on se souvient de cette période de censures en tout genre,
( y compris une présentatrice de télé virée-sur demande de Tante Yvonne De Gaulle- pour avoir montré ....ses genoux en cours d'émission..mais si.. mais si..) on mesure l'évolution de la société depuis cette époque et on ne peut que se féliciter que des barrières se soient abattues

Erwan Blesbois a dit…

Il fut une époque où la littérature était censurée parce qu'elle avait une influence sur les gens. Or la littérature n'a plus d'influence parce qu'elle est inapte à fournir le stimulus nécessaire : ceci est une conséquence de la modernité technologique. La littérature écrite va rejoindre ce que furent les hiéroglyphes égyptiens à l'époque pré-napoléonienne : une énigme incompréhensible. Les gens qui ont connu l'époque de De Gaulle savent encore lire, ils ont connu aussi la censure, heureux hommes : la censure c'est le désir. L'absence de censure ne reflète pas une avancée des libertés, mais un recul de la sensibilité pour la littérature. Ce qui fournit l'excitation aujourd'hui c'est l'image pornographique (sexuelle, ou violente, tous les types de fantasmes sont visibles) directement accessible, alors qu'elle était autrefois tabou, et véhiculée de manière sublimée par la littérature. C'est d'ailleurs un genre d'image pornographique que diffusent les terroristes de l'"état islamique", avec leurs exécutions filmées. Contre eux se dressent la dernière censure, car quand l'image libérale (violence et sexe), fait encore semblant pour vendre (publicité), les terroristes font "pour de vrai", avec les armes du libéralisme (violence gore), pour vendre.