dimanche 21 septembre 2014

La nature des jardins



Dans le cadre des Journées du Patrimoine, j'ai exposé hier, à la bibliothèque municipale, une petite réflexion sur les jardins de Saint-Quentin, intitulée "la nature des jardins", dont je vous livre la version écrite.

Introduction : à la suite d'une déambulation cet été dans 16 jardins publics de notre ville, je me suis interrogé sur la nature des jardins, au double sens de leur végétation et de leur identité. A la façon d'Aristote qui classait les animaux, j'ai rangé les jardins locaux en 7 catégories. Le jardin comme objet de réflexion philosophique, c'est inhabituel, mais Jean-Pierre Le Dantec ("Poétique des jardins", 2011) et Jean-Christophe Bailly ("Le Dépaysement", 2011) m'ont largement précédé dans cette tâche.

1- Les jardins souverains. Ils sont grands, élégants, majestueux et très fréquentés, à tel point qu'on les appelle plus volontiers des parcs. Il s'agit bien sûr des Champs Elysées et du parc d'Isle. Le premier rassemble des populations opposées : jeunes et vieux, actifs et retraités, sportifs et paresseux, solitaires et amoureux, boulistes et tennismen, humains et chiens. Ce jardin est un suzerain qui a son vassal, le jardin d'horticulture, jardin dans le jardin. Le parc d'Isle est à double visage : nature domestique, réserve sauvage. C'est ce face à face inédit qui le rend intéressant. Son vassal, c'est la fermette d'animaux.

2- le jardin d'ornement. A la différence du jardin souverain, qui constitue un monde en soi, ce deuxième type est dépendant d'un monument ou d'une bâtisse. Par lui-même, il perd un peu de son intérêt. C'est un décor, un écrin, un moyen d'embellissement : jardin de la gare, jardin de la basilique, jardin du musée (Antoine-Lécuyer). Ce dernier ne se visite d'ailleurs pas, mais se regarde, à travers ses grilles, comme au zoo.

3- Les jardins îlots. Ce sont des émergences de nature au milieu de la mer de bitume, cernées par les voitures qui passent : le jardin de la place Branly, le jardin de la place Danton.

4- Les jardins de quartier. Ils sont en osmose avec leur environnement direct, immobilier, et ne sont généralement fréquentés que par leurs proches habitants : le jardin au milieu du quartier Europe, le jardin du quartier de Vermand (en haut de la rue de Vermand), les jardins de l'Hôtel-Dieu (au milieu du lotissement du même nom, dans le centre-ville).

5- Les jardins de passage. Ce sont des entre-deux, des lieux de circulation, à faible identité personnelle : le square Romain-Tricoteaux (immense espace de gravier, vide, barré d'une longue allée, entre le centre-ville et le quartier Saint-Martin), l'espace vert entre le quartier de Vermand et Auchan, coincé aussi entre le cimetière militaire et les entreprises de la zone commerciale, passage quasi réservé aux habitants du quartier qui se rendent à pieds faire leurs courses.

6- Les jardins cachés (ce qui est un paradoxe pour un jardin public). Ce sont des jardins qu'on ne voit pas ou très peu : le jardin du Nain d'Alsace, rue Quentin-Barré, très intérieur, repérable pourtant de loin par la cheminée de son ancienne distillerie ; le jardin le plus petit et le plus méconnu de la ville, un banc, un jeu d'enfants, deux arbres, à l'angle des rues Blanc Mont et Epargnemailles.

7- Les jardins d'occupation. Ils sont généralement ... inoccupés, on se demande à quoi ils servent, ils sont là pour faire joli, distraire les automobilistes ou occuper un vide (la ville comme la nature ont horreur du vide). On ne peut pas y lire (trop bruyant), on ne peut pas y jouer (trop dangereux, près de la chaussée encombrée) : le jardin du boulevard Richelieu, à l'angle de la rue Albert Thomas ; le jardin rue de Paris, du côté de l'APF et du collège Jean-Moulin (tous les deux sont à des feux tricolores, pollués par les automobiles).

Conclusion : les jardins de Saint-Quentin se déclinent en diverses natures, de la plus noble, le jardin souverain, à la plus indéterminée, le jardin d'occupation. On pourrait dire d'un jardin que c'est un lieu sage : il n'en est rien, c'est plutôt un endroit de transgression, où les très pauvres viennent se réfugier après avoir été chassés d'ailleurs, où les drogués et alcooliques satisfont à leurs vices, où les couples illégitimes cachent leurs baisers, et parfois, derrière les bosquets, leurs ébats.

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