lundi 8 septembre 2014

L'heure est grave



En déclarant que l'extrême droite était, en France, "aux portes du pouvoir", le Premier ministre a pu sembler excessif, alarmiste. Je crois qu'il a été tout simplement réaliste : combien faudra-t-il de victoires du Front national pour qu'enfin la classe politique réagisse, que les Français se réveillent et que riposte la République ? Qui ne voit que l'extrême droite, depuis 30 ans, étend sa tache d'huile sur notre société ? Aux élections européennes, le FN est devenu le premier parti de France (le fort taux d'abstention ne change rien à ce fait) : l'avertissement ne suffit-il donc pas ?

Et puis, il y a eu ces jours-ci ce sondage ahurissant, affolant, quasi-surréaliste : l'actuel président de la République battu par le chef de l'extrême droite aux prochaines présidentielles ! Le Pen père avait déjà disqualifié il y a 12 ans le Premier ministre socialiste candidat : allons-nous assister à pire, à une catastrophe pour toute la République ? Ce n'est qu'un sondage, me direz-vous, et il ne veut pas dire grand chose, à trois ans du scrutin. Oui, mais il signifie tout de même quelque chose, et de terrible. Arrêtons de tempérer, de nuancer, de nous rassurer à bon compte : cette perspective, même lointaine, même hypothétique, d'un leader extrémiste battant le représentant de la social-démocratie est effrayante.

Je précise que ce n'est pas la défaite de François Hollande qui me scandalise : en démocratie, l'alternance est dans l'ordre des choses, même si je préfère personnellement que la présidence demeure socialiste. Non, ce qui est terrifiant, anormal, quasiment pathogène, c'est cette possible victoire présidentielle d'un parti néo-fasciste dans un pays comme le nôtre.

Ce qui me désole, c'est de voir plusieurs leaders de l'UMP réagir de manière totalement irresponsable. Certains demandent la démission du chef de l'Etat, comme si la France était une entreprise ou une association desquelles on peut se retirer parce qu'il y a des mécontentements. Non, la France est une République, dont le président est lié au peuple par un mandat de cinq ans, dont la durée doit être intégralement respectée. Si démission il devait y avoir, ce ne pourrait être que de la seule décision, en conscience, du chef de l'Etat, sans qu'on la lui réclame ou qu'on la force.

D'autres membres de l'UMP demandent la dissolution de l'Assemblée nationale, d'une façon tout aussi irresponsable. Car une dissolution ne se justifie que si le gouvernement n'a plus au Parlement une majorité pour le soutenir : ce n'est pas actuellement le cas, avec ou sans les "frondeurs". Mais la pire des attitudes, dans les rangs de l'UMP, revient à rejeter toute éventuelle cohabitation, alors que cette situation est prévue par les institutions, qu'elle résulterait des élections, qu'elle a déjà été éprouvée par le passé. Du coup, l'extrême droite a beau jeu de dire qu'elle ne s'y refuserait pas, apparaissant ainsi, à bon compte, comme plus légaliste que l'UMP. Je ne vois vraiment pas comment une majorité UMP à l'Assemblée pourrait s'abstenir de cohabiter : quand les électeurs vous envoient au pouvoir, on l'exerce, on ne se dérobe pas.

Face au danger Front national, l'heure est grave. Au lieu d'hésiter entre démission du président, dissolution de l'Assemblée et rejet de la cohabitation, l'UMP serait mieux avisée de jouer son rôle d'opposition républicaine, en donnant un chef à son parti, un candidat en vue de la présidentielle et un programme d'alternance. Le parti socialiste, de son côté, doit refonder son projet dans le cadre de ses Etats Généraux, le rendre conforme à sa nouvelle ligne social-démocrate. Pour les uns et les autres, il y a de quoi faire. A défaut, le Front national accédera au pouvoir, nous basculerons dans un autre régime et ce sera la défaite de tous, gauche et droite, France et République. Oui, l'heure est grave.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

en mai40 un ministre avait déclaré: l'heure est grave mais pas désespérée; en ce moment, on pourrait dire avec un optimisme béat : l'heure est désespérée mais ce n'est pas grave puisque le fabuleux FN va nous sortir de l'ornière craché juré
On se rend compte que la diabolisation du FN n'a jamais fonctionné; vos billets sont très nombreux sur le sujet mais ce n'est pas en cassant le thermomètre qu'on fait baisser la température ,c'est bien connu.
J'espère comme tout le monde que la crise économique va cesser entrainant- si on suit les économistes- une baisse du chômage
encore faut-il qu'on ait un gouvernement( de gauche) moins " bordélique", un PS responsable et des Français un peu plus citoyens( chacun doit y mettre du sien mais ça concerne d'abord le voisin..)

Erwan Blesbois a dit…

Les pauvres en vieillissant deviennent de plus en plus inoffensifs, comme si on leur avait retiré les crocs, ils ne sont pas bons, ils sont moches (comme disait Reiser), ils sont mauvais, ce sont des sans dents. Les riches au contraire gardent toute leur agressivité en vieillissant, ils deviennent même plus méchants, les crocs leur poussent, car ils perdent la naïveté qui était propre à leur jeunesse, et la bonté est bien un rêve de la jeunesse, donc de la naïveté. Les pauvres ne sont pas bons, ils sont mauvais, et les riches ne sont pas bons, ils sont méchants. C'est comme cela que j'interprète la formule de François Hollande, les "sans dents". Quant à la vraie dichotomie, elle n'est pas selon moi entre démocrates et fascistes, mais entre riches et pauvres. Tous les partis pour arriver au pouvoir font fructifier cette dialectique (de Chirac "fracture sociale" à Sarkozy président des "vrais gens" contre l'élite (notamment intellectuelle, mais pas financière) puis à Hollande "le changement c'est maintenant"), une fois installés au pouvoir, ils ne semblent avoir d'autre choix que de s'allier à la puissance de l'argent : perversité de la démocratie où pour arriver au pouvoir il faut faire des promesses aux pauvres et où pour le garder il faut s'allier aux riches, ou dit autrement il faut faire semblant d'être idéaliste, pour ensuite montrer sa vraie nature ; un réalisme froid et cynique, sans pardon pour les sans dents. A te lire, Hollande jouerait double jeu, derrière sa façade libérale, il serait l'allié des pauvres : c'est un fantasme. Hollande est un libéral, un "social-libéral" peut-être, quelle que soit l'étiquette, sa politique finalement favorise l'enrichissement des déjà riches. C'est peut-être ça moderniser, une nécessité, une pilule amère à avaler : je n'y crois pas, plus personne n'y croit, jusque dans les rangs des socialistes dits "frondeurs". Un changement de politique ne pourrait se faire qu'à l'échelle de l'Europe, la principale erreur de Marine Le Pen est là : changer la politique à l'échelle de la France, cela est excessivement dangereux. A avoir lu quelques économistes, je pense que la solution pourrait être dans une Europe économique puissante, capable de protéger son modèle social par du protectionnisme (la modernisation par la baisse du coût du travail et la "réforme" des acquis sociaux est un leurre, au détriment des pauvres, une spoliation qu'ils ne pourront pas rattraper), car en matière de coût du travail, on ne peut rivaliser avec les pays émergents (Chine, Inde, Brésil...); ce serait bien d'inclure dans cette puissance européenne, la Russie, pour les matières premières.
Heureusement pour toi, tu as cette foi dans le mal que représente le FN, elle joue pour toi comme fondement métaphysique. Mais attention après la chute des religions, il n'y aura pas d'autre substrat métaphysique que cette croyance au mal absolu. Si le FN disparaissait, que te resterait-il à combattre, et où pourrait se loger ta foi ?

Emmanuel Mousset a dit…

1- Ne prête pas à Hollande (les "sans dents") ce qui appartient à Trierweiller.

2- Tu crois que la démocratie est perverse, je la crois vertueuse.

3- Est-ce ma faute si le mal, en l'occurrence le FN, existe ? Donc oui, il faut le combattre.

Anonyme a dit…

combattre le FN mais comment? bien qu'on dénonce en permanence son idéologie perverse, rien n'arrive à contrer sa montée dans l'opinion; il faut bien reconnaître sur ce point une forme d'impuissance à déciller les yeux des Français et, en effet, ce n'est pas rassurant