jeudi 25 septembre 2014

La guerre



La France est en guerre. Mais combien de nos concitoyens en ont-ils conscience ? On parle d'"intervention militaire", de "frappes aériennes". Il n'y a pas de "déclaration de guerre", pas même de véritable armée adverse, puisqu'on parle de "terroristes". On bombarde des bâtiments, on ne vise pas des hommes. Il n'y a pas de troupes françaises au sol. Aucune négociation avec l'ennemi, aucune démarche diplomatique ne cherchent à trouver une résolution au conflit. On a plutôt l'impression, à entendre les mots utilisés, à une opération de police au niveau international, contre une bande de criminels. Or, ce n'est pas le cas : la France est bel et bien en guerre, et le président de la République a eu raison de ne pas esquiver ce mot terrible, la guerre.

La mort du malheureux otage et les réactions qu'elle a suscitées prouvent que la France n'est pas prête à la guerre, du moins dans les esprits, parce que nous ne savons plus très bien ce que c'est que la guerre. Il y a pourtant une expression commune qui le résume très bien : les "horreurs de la guerre". Toute guerre produit des horreurs, il n'y a pas d'exception. La guerre est toujours sale (mais il faut la faire, quand elle est juste). Nous sommes effarés par la mort de cet homme, comme si c'était une découverte, comme si la guerre pouvait échapper à ces atrocités, alors que toute l'histoire de l'humanité le dément, hélas. La guerre est forcément un événement tragique qui fait d'innocentes victimes.

Le mot de "décapitation" (d'ailleurs inexact) est répété à satiété, comme une sorte de jingle sinistre. Employer le langage de l'adversaire, c'est déjà s'avouer vaincu. Les commentaires ne cessent pas d'additionner les superlatifs : horrible, effrayant, terrifiant. Là encore, les terroristes, qui veulent semer la terreur, y réussissent parfaitement. L'arme efficace et redoutable que nous pourrions opposer à leur logique de mort, ce serait un silence de mort. Mais notre société bavarde et médiatique en est incapable : il lui faut toujours tout commenter, tout rapporter. La vidéo du crime n'est pas montrée, mais partiellement décrite, en tout cas évoquée : la part laissée à l'imagination est sans doute aussi terrible que la diffusion des images.

Notre société est prête à bien des aventures, sauf à faire la guerre. Nous sommes devenus hypersensibles, ultra-émotifs. La plus petite violence domestique nous révulse, même certains mots nous choquent et nous font réagir. Notre mentalité est pétrie de morale, de bons sentiments, respect, tolérance, humanisme, vertu d'indignation, et c'est sans doute un grand progrès de l'humanité. Mais la guerre n'a rien à voir avec tout ça : la guerre est le contraire de tout ça. Elle nous oblige à riposter, à être durs, impitoyables, à rendre coups pour coups : c'est ça la guerre, depuis toujours, mais si loin de nous, de notre état d'esprit.

Nous qualifions les djihadistes de "barbares", de "terroristes". Oui, mais ce ne sont pas non plus de vulgaires délinquants prêts à tout pour du fric ou des fous furieux qui font n'importe quoi. Ils sont motivés par une idéologie qui nous est devenue, dans nos pays occidentaux, largement étrangère : le fanatisme religieux, la soif sanglante d'absolu, le sacrifice de sa propre vie et de celle des autres. Toute notre histoire nous montre, mais nous l'avons oublié, que la religion peut être source de spiritualité, d'art et de civilisation, mais qu'elle peut être aussi le moteur de massacres, de tortures et de guerres. Employer les termes définitifs de "barbares" et de "terroristes" en quelque sorte nous rassurent en fixant nos consciences, mais ils n'expliquent rien du tout, ils passent à côté de la réalité (relisez le livre de Vercors, "Le silence de la mer", qui en pleine Occupation décrit l'officier allemand pas du tout comme un "barbare", alors qu'il participaient pourtant à un système de "barbarie").

Notre faiblesse, c'est aussi le régime d'opinion qui est le nôtre. C'est une force en situation de paix, mais une faiblesse en état de guerre. Voyez les réactions du maire et des habitants du village où résidait Hervé Gourdel : une nuance de "colère" se fait entendre au milieu de l'accablement, de la tristesse et de la stupeur, le sentiment que les autorités françaises n'ont peut-être pas fait ce qu'il fallait, que les "frappes" sont peut-être intervenues trop tôt. La critique est encore diffuse, retenue, mais elle est là, on la sent, il suffirait de peu de choses pour qu'elle éclate. C'est exactement là-dessus que comptent les "terroristes" : amener la France à céder, à reculer, parce que l'opinion ne supporte pas les "horreurs de la guerre".

Il y a aussi ce paradoxe tragique, qui ne peut que nous mettre mal à l'aise : l'armée française et l'une des plus puissantes au monde, dotée de la force nucléaire. Les djihadistes, à côté, ne sont rien du tout, à peine une armée, sans grands moyens, sans technologies ni spécialistes, des bandes de fanatiques à la mitraillette et au couteau. Mais ils donnent le sentiment de la puissance, ils se paient le luxe inouï de nous faire peur, de nous faire douter, ils espèrent nous faire reculer, nous les géants. C'est quelque chose qui ne s'est jamais vu dans l'histoire militaire, où ce sont toujours les plus forts qui s'imposent aux plus faibles et qui ne redoutent rien d'eux.

Enfin, je suis assez surpris par cette campagne sur l'internet, Not in my name, ces jeunes musulmans qui refusent que les djihadistes se réclament de leur foi. Comme si c'était l'essentiel, comme s'il suffisait de passer par le vocabulaire. De fait, les djihadistes agissent "au nom de Dieu" et s'inspirent de l'Islam, comme les Croisés massacreurs portaient la croix du Christ sur leur armure, comme les catholiques suppliciaient et exterminaient autrefois les protestants. Ce n'est pas en changeant les mots qu'on change les réalités. "Not in my name" est une réaction très contemporaine, individualiste, qui revient à dire : "moi, je n'ai rien à voir avec tout ça". Mais supposons que les djihadistes ne se réfèrent pas à la religion musulmane, qu'est-ce que ça changerait à l'ignominie de leurs actes ? Rien du tout. Ce que je pense, c'est que ces tueurs vont puiser leurs forces dans une transcendance sanglante, à l'aune de quoi la vie est quantité négligeable et la mort promesse de paradis. Nous qui ne croyons plus en rien du tout (religieusement parlant), nous sommes éberlués par une telle attitude.

La guerre ne se règle pas par la sensibilité ou la morale, mais par la guerre, en utilisant les mots justes pour décrire ce qu'on veut et ce qu'on fait, dans la désignation de l'ennemi. De cette guerre dont nous savons qu'il nous est impossible de la perdre, il n'y a qu'une seule chose à espérer : qu'elle soit la plus courte, la plus rapide possible.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

je trouve choquant que les musulmans aient été amenés à devoir se justifier et affirmer haut et fort que cette barbarie n'a rien à voir avec leur religion. Quand le Ku Klux Klan pendait des Noirs au nom du dieu chrétien a-t-on demandé aux chrétiens de se " démarquer"?
Précision: Je suis au choix athée ou agnostique.

Anonyme a dit…

" "Not in my name" est une réaction très contemporaine, individualiste, qui revient à dire : "moi, je n'ai rien à voir avec tout ça". "
A mon avis cela signifie davantage "ne parle pas au nom des musulmans" c est beaucoup moins individualiste que vous le pensez. c'est un clip ou on montre un groupe de musulmans ou chacun se dissocie de l'acte d'un fanatique qui n est pas reconnu par ce groupe comme leur représentant.
Représentant qui clame agir au noms des musulmans dans sa vidéo.
quand un musulman s'exprime seul au nom des musulmans , 10 autres musulmans s expriment seuls pour dénoncer l'assassin. le clip reprend le principe de la vidéo criminelle pour mieux la dénoncer.

Anonyme a dit…

Si vou avez vu le documentaire propagande de Da'ech sur Fr2 hier soir révisez votre jugement sur ces fanatiques: ils ont de la technologie et s'en servent...

Emmanuel Mousset a dit…

Non, pas vu. Mais je ne pense pas qu'ils aient accès à l'armement nucléaire, ni même qu'ils possèdent des avions de combat.

Anonyme a dit…

il est évident que leur vraie appellation est "les égorgeurs" mais certains demandent de ne pas les provoquer alors on finasse: de "état islamique" on est passé à "daesch" ou quelque chose comme ça; encore un peu plus bas le pantalon et on va finir par les considérer voire les respecter; les peuples ont la mémoire courte et sans faire de comparaison anachronique il faut se souvenir qu'en 1938 on a aussi laissé le champ libre à un nommé Adolf pour ne pas le provoquer Ach Munich...