mardi 10 décembre 2013

Courtoisie républicaine



Quelle affaire, toute la journée d'hier ! Fallait-il que François Hollande et Nicolas Sarkozy, en leurs qualités d'actuel et d'ancien chef de l'Etat, voyagent ensemble dans le même avion pour aller assister à l'hommage rendu à Nelson Mandela, ou bien partent chacun de leur côté ? Le protocole ne dit évidemment rien là-dessus. Le bon sens pencherait plutôt pour un seul avion au lieu de deux, la bienséance aussi, le président en titre ayant poliment convié son prédécesseur à l'accompagner. Mais si la politique était une question de bon sens et de bienséance, nous le saurions depuis longtemps.

L'économie peut-elle venir à notre secours, puisqu'il nous est demandé de faire des économies un peu partout ? Même pas, puisqu'il paraît qu'un seul avion ou deux, ça revient au même en termes de dépenses (je vous fais grâce de la démonstration). La psychologie, qui normalement a réponse à tout, s'en mêle (et s'emmêle) aussi : l'avion présidentiel n'a que quatorze places, l'espace est restreint, deux anciens (et toujours ?) adversaires n'auraient pas suffisamment d'air pour un trajet qui dure treize heures. On connaît tout de même pire dans la vie comme situation, même pour des chefs d'Etat. Mais l'époque ne jure que par le confort.

Quelles que soient les raisons des uns et des autres, je trouve que la polémique est du plus mauvais effet auprès de l'opinion publique, qui se fait déjà une piètre idée de notre classe politique. Les présidents américains seront trois dans la carlingue, mais comme tout est plus grand aux Etats-Unis, je suppose que l'avion aussi. Mandela, qui a réussi à réconcilier un pays autrement plus déchiré que le nôtre, ne parvient pas post mortem à réunir Hollande et Sarkozy. Ce n'est pas un drame, mais c'est un peu dommage en termes d'image. Les conflits ont leur justification en politique, ils sont même à la base de la démocratie, mais il y a des moments, comme celui-là, où la tête du pays doit manifester son unité. La France, qui doute d'elle-même, en a bien besoin.

Ce que les citoyens sentent sûrement, c'est que derrière tout ça, il y a ce qu'il ne devrait pas y avoir en politique : des chicayas, des gamineries, des susceptibilités froissées, de l'orgueil mal placé. On peut être adversaires, vouloir la mort de l'autre et se montrer magnanimes, grands seigneurs : c'est la paix des braves, avant que la guerre ne reprenne, puisque la politique est un combat sans fin. Mais non : notre époque tombe souvent dans la mesquinerie, la vanité, le ridicule. Je ne dis pas que ces travers n'ont pas toujours existé : autrefois, ils étaient cependant moins flagrants, moins accentués. L'individualisme, qui fait qu'on ne croit plus qu'en soi, les a aggravés. Aujourd'hui, un problème devient très vite personnel. La perte des enjeux idéologiques n'a rien arrangé.

Cet état d'esprit se vérifie à tous les niveaux. A Saint-Quentin, Michel Garand, tête de liste socialiste aux élection municipales, s'est plaint dans la presse que le maire Xavier Bertrand ne vienne pas le saluer, que les adjoints tournent les talons sur son passage. Michel a raison, ce n'est pas bien. Mais est-ce seulement un manque de courtoisie ? En politique, tout est politique, même un bonjour. Ne pas saluer l'adversaire, c'est le considérer comme quantité négligeable, lui dénier quasiment le droit à l'existence, le transformer en homme invisible. C'est moins de l'impolitesse que de la tactique. Mais la riposte est facile : il suffit d'aller vers celui qui vous ignore, de lui tendre ostensiblement la main, qu'il ne pourra pas vous refuser, et ce sera gagné !

Quoique je vais un peu vite en besogne. Ce week-end, un monsieur a hésité à serrer la main que je lui présentais et une dame n'a pas voulu me faire la bise alors que je lui tendais mes lèvres, tout ça parce que je les ai un peu secoués dans un billet sur ce blog. L'un et l'autre sont des personnages publics, qui aspirent à de hautes fonctions à l'issue des élections municipales : devenir maire-adjoint. Il leur faut accepter la critique, ne pas s'en offusquer et demeurer courtois. Ce n'est pas à strictement parler une question de politesse : je me moque des égards qu'on peut avoir ou ne pas avoir envers ma personne, je ne suis pas dans ce truc-là. Mais c'est une question de principe républicain : un candidat, un élu ou un futur élu se doivent de saluer chaque citoyen, y compris celui qui ne partage pas leurs idées, y compris celui qui a été un peu rude avec eux.

Encore le monsieur et la dame sont-ils bien tombés avec moi : j'ai bon fond, un naturel gentil qui m'empêchent de les achever à la hache (c'est une image). Les petits de ce monde se comportent parfois comme les grands de ce monde : susceptibles comme des poux, incapables de distance, ne supportant pas qu'on les touche. Du coup, la main se referme et la joue s'éloigne. Personnellement, j'en serais plutôt content, trouvant plaisir à l'adversité : quand la bête geint, c'est que le chasseur a visé juste. Mais je ne suis pas un tueur : je ne frappe que dans les pattes, j'ai pitié (c'est une autre image). Et surtout je m'amuse, parce que c'est la seule façon de réagir dignement à des attitudes mesquines. Ceux qui les pratiquent ne sont pas à la hauteur de leurs ambitions, qui exigent plus d'ouverture.

Quant à moi, qui ne prétend pourtant à rien, je salue tout le monde, avec cependant une limite : les représentants du Front national. C'est d'ailleurs logique : la courtoisie républicaine, que j'ai tenté de défendre et d'illustrer dans ce billet, ne s'applique qu'aux républicains, dont le FN ne fait pas partie.

lundi 9 décembre 2013

30 ans après



L'association Devoir de Mémoire, dont le président est Karim Saïdi, a organisé récemment, au multiplexe de Saint-Quentin, un débat autour du film de Nabil Ben Yadir, La Marche, consacré à la marche contre le racisme et pour l'égalité, qui avait rassemblé en 1983 à Paris 100 000 personnes. Je n'ai pas trouvé le film très bon, mais il se laisse voir, on passe un agréable moment (il est encore à l'affiche). Je m'y retrouve, parce que c'est un film très militant, de gauche pour ainsi dire (mais proposé, paradoxalement, par un élu municipal de l'équipe de Xavier Bertrand). La Marche recèle plusieurs anachronismes, ce qui est gênant pour un film d'époque. Certaines musiques sont décalées : Hexagone, de Renaud, ce sont les années 70, et California Dreamin, les années 60. Je sais bien que c'est le message qui compte, peu importe l'accompagnement musical ; mais tout de même ...

Des anachronismes également dans les dialogues : les expressions bisou, dégage et surtout point barre n'existaient pas, ou pas vraiment, dans les années 80. Enfin, le drapeau homosexuel multicolore qu'on voit dans la manif finale était quasiment inconnu à l'époque, ou en tout cas très peu présent. Le réalisateur, à travers le personnage d'une marcheuse lesbienne, a voulu faire un lien entre la marche de 1983 et le mariage pour tous de 2013 : c'est idéologiquement plaisant, mais c'est historiquement faux.

Le rôle de Jamel Debbouze, en dealer rigolo, est plutôt surjoué et surajouté, comme si le script avait voulu laisser une place à l'humoriste, en guest star. En revanche, la reconstitution matérielle est très réussie : les voitures, les coupes de cheveux, les habits, en un temps où l'on ne connaissait pas encore l'engouement pour les marques et l'ostentation vestimentaire.

Sur le fond, La Marche rappelle un événement politiquement instructif aujourd'hui, qu'il faut replacer dans le contexte d'alors : la gauche au pouvoir, la montée du FN et une multiplication d'agressions et de crimes racistes. Ce film prouve, et c'est heureux, qu'il a toujours existé en France un puissant mouvement d'opinion hostile au racisme, et prompt à se manifester. Le résultat de cette marche n'est pas rien : d'abord une prise de conscience, ensuite la carte de séjour des étrangers prolongée à 10 ans.

La fin du film lance une pique inutile contre le mouvement SOS racisme, laissant entendre que celui-ci aurait récupéré et dévoyé les buts de la marche de 1983. C'est injuste et faux. J'ai un peu participé à ce qui se passait à cette époque, j'aimerais en témoigner et rectifier. Après le grand succès de la marche, une deuxième a été organisée, l'année suivante, dans un style différent. Les initiateurs historiques, le père Delorme par exemple, en étaient absents, je ne sais plus pour quelle raison (je crois qu'ils trouvaient inutile de réitérer un événement pour eux unique, qui avait suffisamment porté ses fruits). Il y avait donc, déjà, une première dissidence.

Au printemps 1984, à Paris, j'ai assisté aux réunions préparatoires de cette seconde marche. L'idée était, cette fois, non plus de marcher mais de sillonner la France à mobylettes, pour illustrer la formule que Jamel Debbouze prononce dans le film : La France, c'est comme une mobylette, ça avance au mélange. Cette "marche" motorisée devait partir de plusieurs grandes villes de France, et confluer sur Paris à la fin 1984. A l'époque, j'avais du temps (c'est-à-dire pas de travail) et une mobylette : je me suis donc porté volontaire. Et puis, durant l'été, j'ai trouvé un boulot qui m'a conduit à renoncer au projet.

La marche à Paris, mobylettes en tête, a connu un succès moins grand que la première édition, mais la mobilisation demeurait forte. Surtout, dans la foule, des petites mains en plastique, toute jaune, avec un slogan efficace et amusant (Touche pas à mon pote), se vendaient comme des petits pains. C'était le début, par un coup publicitaire à la fois simple et génial, de SOS racisme. Ce mouvement n'a pas trahi la cause, il lui a donné une autre coloration, médiatique et sociétale. Au lieu d'en rester aux militants associatifs de base, il s'est ouvert aux personnalités et aux intellectuels. Ses organisateurs, Harlem Désir et Julien Dray, avaient un savoir faire acquis à travers le militantisme d'extrême gauche, alors que les pionniers de la marche n'étaient pas des militants politiques au sens strict. Les thèmes ont évolué vers la défense du multiculturalisme, de la société pluri-ethnique, du droit à la différence, dans une approche en quelque sorte plus positive et plus joyeuse. La marche en restait à des mots d'ordre plus traditionnels et plus revendicatifs : l'égalité républicaine et la lutte contre le racisme. SOS donnait une touche plus moderne à l'antiracisme.

Pour ma part, je ne crois pas qu'il y ait contradiction entre les deux inspirations antiracistes, même si les distinctions sont réelles. J'ai participé à l'une et à l'autre, que je considère comme complémentaires. Peu importe finalement la façon dont on combat le racisme, sur quels thèmes on le fait : l'essentiel, c'est de le combattre, puisque 30 ans après, l'urgence est toujours là.

dimanche 8 décembre 2013

Les pros et les bleus



Deuxième édition du Salon du Livre de Noël, dans la salle des adjudications de l'Hôtel de Ville de Saint-Quentin, cet après-midi. Le public est tout aussi nombreux que l'an dernier (vignette 1). On se bouscule souvent devant les auteurs. Les tables sont par genre : il y a la littérature pour la jeunesse (vignette 2), la bande-dessinée (vignette 3), les essais (vignette 4, de gauche à droite : Karim Saïdi, Jean-Loup Ridou, Hélène Adrien-Bouchardeau, Bernard Lebrun, Frédéric Pilet, Victorien Georges), ... Il y a les stars, comme Philippe Lacoche, et les moins connus.

Plusieurs candidats aux élections municipales sont passés nous voir, c'est normal. Il y a ceux qui font le tour, saluent tout le monde, ont un petit mot pour chacun, parlent de tout sauf de politique : ce sont les pros, on les repère tout de suite. Et puis il y a ceux qui vont seulement vers les noms et les visages connus ou amis, ayant pour les autres un sourire de convenance, de fausse décontraction, un peu niais : ce sont les bleus, on ne les repère pas parce que personne ne fait attention à eux.

On se demande parfois en quoi le monde se divise-t-il : les bons et les méchants, la droite et la gauche, les croyants et les incroyants, les leaders et les suiveurs, les idéologues et les pragmatiques, ... Je pourrais longtemps énumérer la liste des dichotomies. Mais à bien y réfléchir, je me dis que l'opposition la plus pertinente, c'est peut-être entre les pros et les bleus. J'ai toujours été interpellé, interrogé et fasciné par ce jugement de François Mitterrand : "En politique, un bon amateur ne vaudra jamais un mauvais professionnel".

La liste de la colère




Ce midi, j'avais deux invitations à honorer, à peu près à la même heure, ce qui m'obligeait à choisir, entre l'apéritif et le café. L'apéro, c'était Olivier Tournay, dans la salle Paringault, pour la présentation de la liste communiste aux élections municipales. Le café, c'était Xavier Bertrand, en mairie, pour le Salon du livre de Noël, où je dédicaçais mon ouvrage. Vous devinez vers quoi mon coeur a penché ...

Pour présenter leur liste, les communistes saint-quentinois ont mis les petits plats dans les grands : 150 à 200 personnes environ étaient conviées à un repas, dans une ambiance surchauffée (vignette 1). La section a manifestement souhaité un départ de campagne en fanfare, très médiatisé, et sans attendre que Xavier Bertrand se déclare. Le point culminant, c'était bien sûr l'annonce de la liste, nom après nom, par Gérard Ervet (vignette 2) : des ouvriers, des employés, des fonctionnaires, des travailleurs sociaux, des animateurs associatifs, des militants syndicaux, un fort ancrage populaire, c'est l'impression qui en ressortait. Et aussi beaucoup d'enthousiasme, de fraternité, surtout au moment de chanter l'Internationale, poings levés, Olivier Tournay en tête (vignette 3). A noter, sur cette liste, la présence de Barbara Knockaert, ancienne candidate, et Franck Mousset, conseiller municipal, tous les deux du NPA (mais pas présentés à ce titre).

Cette liste communiste, ce qui la définit le mieux, à entendre les interventions de Corinne Bécourt et Olivier Tournay, c'est le mot de colère : colère contre la droite et les injustices, colère contre la social-démocratie qui fait la politique du grand capital, colère contre les propos du candidat socialiste dans la presse locale, accusant la section communiste de collusion avec l'UMP (à vrai dire, c'est essentiellement Jacques Héry qui a fait ces critiques, desquelles je me suis désolidarisé). Cette liste, c'est celle des combattants, pas des notables, a précisé Corinne Bécourt.

Olivier Tournay a esquissé quelques grandes lignes programmatiques, en commençant par souligner que tous ceux qui promettent de l'emploi disent des mensonges, puisque ce n'est pas dans les prérogatives d'une municipalité. En revanche, tout ce qui dépend des pouvoirs d'une Ville, les communistes vont s'en emparer : logement, transport, culture, éducation, etc. Avec un principe conducteur : renoncer à toutes les délégations de service public, et mettre un terme à la zone franche.

Je n'étais pas seulement présent pour informer les lecteurs de ce blog, comme je le ferai tout au long de la campagne, mais pour témoigner de l'importance que j'accorde, en tant que socialiste, à ce qui se passe chez nos camarades communistes. Car en mars prochain, sans les communistes, les socialistes ne gagneront pas ; et sans les socialistes, les communistes n'auront aucun élu. Mon voeu le plus cher, c'est que cette liste communiste fasse le meilleur score possible, dépasse le seuil des 5% des suffrages exprimés, qui autorise la fusion des listes entre les deux tours. L'union, qui n'est pas possible maintenant, devra impérativement avoir lieu après le premier tour, dans une liste commune. Sinon, la gauche perdra ces élections municipales, pour la quatrième fois consécutive de son histoire.

De l'ambiance de cet après-midi, j'ai retenu la présence de nombreux jeunes, ce qui n'est pas toujours évident dans les rassemblements politiques locaux, et surtout des enfants bruyants, qui couraient un peu partout, comme le font des enfants, ce qui donnait une touche de vie et d'avenir. J'ai retenu aussi cette belle affiche de la section communiste, faucille et marteau énormes, sur fond d'Hôtel de Ville de Saint-Quentin en ombre chinoise (vignette 4). Il reste encore beaucoup d'efforts à faire pour que cet Hôtel de Ville sorte de l'ombre et se pare des couleurs de la gauche. Il reste jusqu'au mois de mars.

samedi 7 décembre 2013

D'une rive à l'autre



Quand une aquarelliste rencontre un graveur, ça donne quoi ? Une exposition, au 115 rue d'Isle, à Saint-Quentin. Son titre : D'une rive à l'autre. Ses artistes : Annie Lalonde et Jean Pommerolle (vignette 1, les allocutions). Le vernissage avait lieu en soirée, au milieu d'une assistance très fournie (vignette 2, le buffet). Annie et Jean ont accepté de trinquer, rien que pour les lecteurs de ce blog (vignette 3). Allez apprécier leurs oeuvres, visibles jusqu'à mercredi prochain.

Bilan et avenir des primaires



Le parti socialiste réunit aujourd'hui à Paris son Conseil national de validation des listes pour les élections municipales et européennes. A l'issue, les candidats disposeront d'un slogan, de thématiques de campagne et d'une charte programmatique, à décliner dans chaque ville de France. C'est donc une étape importante qui va être franchie ce week-end. Nous en saurons un peu plus sur le projet municipal des socialistes. La bataille des idées va vraiment s'engager, à Saint-Quentin comme ailleurs.

Ce Conseil national, c'est aussi l'occasion de faire le bilan des quelques villes qui ont adopté le système des primaires ouvertes pour désigner leur candidat. Vous savez que j'aurais aimé que Saint-Quentin fasse ce choix, afin de mobiliser beaucoup plus notre électorat, de déclencher bien en amont de la campagne officielle une dynamique de la victoire. Au vu des chiffres de participation pour la désignation de la tête de liste puis des colistiers, je crois que la procédure des primaires était nécessaire, ne serait-ce que psychologiquement. Une candidature d'appareil, pré-sélectionnée par les cadres du parti, a certes l'avantage d'assurer la paix des ménages, c'est-à-dire entre les courants. Mais le rassemblement des électeurs me semblait prioritaire.

Au niveau national, le bilan des primaires est-il positif ? Je pense que oui, globalement. Un seul accroc véritable : La Rochelle, où le perdant a été mauvais perdant et a décidé de se présenter quand même, en dissident. A Marseille, la campagne a été quelque peu agitée, mais finalement tous les candidats ont joué le jeu et se sont rassemblés. Ailleurs, les primaires citoyennes se sont parfaitement déroulées. Le point le plus positif est dans la mobilisation des sympathisants : 20 000 à Marseille, 3 000 à Aix-en-Provence, 1 000 à Béziers et au Havre, 700 à Boulogne-Billancourt. Je suis sûr qu'à Saint-Quentin, on aurait tout autant cartonné ! Autre point positif : les primaires ont souvent permis le renouvellement des candidatures, en se portant sur des têtes de liste atypiques, qui n'ont pas le profil notable ou apparatchik. C'est plutôt une bonne chose, étant donné l'état de l'opinion publique, qui rechigne aujourd'hui à suivre des personnes imposées d'en haut.

Les primaires ont-elles un avenir au parti socialiste ? Oui, d'après ce que j'en sais et ce que j'entends dire. Même si, pour ces municipales, le nombre de villes concernées est restreint, l'élargissement aura forcément lieu. Honnêtement, ce sont les résultats de mars qui en décideront. Comme toujours en politique, c'est la victoire ou la défaite qui tranchent les débats. A Saint-Quentin, nous verrons bien si le choix d'une désignation strictement interne aura été pertinent. Il ne faut préjuger de rien, et j'admettrai volontiers mon erreur (ce ne serait pas la première fois !) si les événements me donnaient tort. On pourrait même imaginer appliquer les primaires à d'autres scrutins, tels que les cantonales ou les législatives. En tout cas, les désignations réduites à quelques dizaines d'adhérents sont à terme condamnées. Aux municipales, le seuil de déclenchement automatique de primaires pourrait être de 50 000 habitants.

L'absence de primaires à Saint-Quentin ne voue pas fatalement à l'échec. Mais la dynamique qui n'a pas été impulsée par ce biais doit être trouvée ailleurs, s'appuyer sur d'autres ressorts. Pour le moment, aucun événement médiatique ou militant n'ont boosté la campagne. Les échos dans la presse ont été plutôt modestes et mitigés, en comparaison avec la campagne de désignation interne de juin, qui avait eu un impact assez important dans les journaux. Rien bien sûr n'est perdu. Trois occasions vont se présenter, qui peuvent contribuer à relancer une dynamique :

1- La présentation complète de la liste en janvier, où l'annonce de personnalités de la société civile pourrait aviver la curiosité, susciter l'intérêt et renforcer le crédit de la liste socialiste.

2- La publication du projet, à partir de quoi le débat pourra véritablement s'engager avec la droite (pour le moment, il n'a pas eu vraiment lieu). Quelques propositions marquantes, spectaculaires et novatrices de Michel Garand pourraient déclencher en sa faveur un mouvement d'opinion.

3- L'organisation des premières manifestations publiques, réunions de quartiers par exemple, va lancer réellement la campagne, la rendre visible. Je pense en particulier à la traditionnelle cérémonies des voeux, qui sera un moment très attendu, et peut-être l'occasion opportune pour dévoiler la liste ou exposer le projet.

A ces trois temps pourrait s'ajouter la constitution d'un comité de soutien, qui permettrait d'impliquer les sympathisants dans la campagne et de mettre en avant des personnalités locales qui ne figurent pas sur la liste mais qui veulent manifester leur engagement public auprès des socialistes. Ces personnes-là sont plus nombreuses qu'on ne croit. Enfin, dernière possibilité, mais c'est une redite : un blog ou un site de campagne permettraient plus efficacement qu'une page Facebook de défendre les propositions du candidat et d'attaquer les positions de l'adversaire. Mais j'arrête là mes conseils, car je me rends compte que je suis en train de dérouler le fil de la campagne que j'aurais aimé mener si j'avais été candidat ! Il ne faut pas que j'oublie que la tête de liste, ce n'est pas moi ...

vendredi 6 décembre 2013

Pour Nelson, à Vincent



La disparition de Nelson Mandela m'inspire deux anecdotes personnelles. En 1977-1979, j'étais pensionnaire au lycée d'Argelès-Gazost, dans les Hautes-Pyrénées. Je venais de loin, puisque du Berry. Mais certains de mes camarades internes venaient d'encore plus loin. Parmi eux, il y avait Vincent, dont je m'étais fait un ami parce qu'il m'avait prêté son vélo (j'ai appris dans la suite de ma vie qu'il y avait pire motif en matière d'amitié).

Vincent était très gentil, très sympa. Il venait de beaucoup plus loin que moi, puisqu'il avait séjourné plusieurs années en Afrique du Sud. J'étais déjà de gauche à l'époque, c'est-à-dire que le système de l'apartheid me faisait horreur (l'extrême droite, en ce temps-là, le défendait). Vincent, à mon grand scandale, m'expliquait que le régime n'était pas ce qu'on croyait, ce qu'en disaient les médias. Il me racontait son enfance auprès des domestiques noirs, gentils avec lui et lui, gentil avec eux.

Pour Vincent, adolescent comme moi, l'apartheid n'était pas raciste ni exploiteur, mais protecteur et bienveillant : les noirs n'étaient pas en capacité de diriger, les blancs le faisaient pour eux, pour leur bien, dans leur intérêt. Pour lui, Nelson Mandela, qui n'était pas encore tout à fait l'icône universelle qu'il est ensuite devenu, n'était qu'un communiste, un révolutionnaire, quelqu'un de violent qui voulait précipiter l'Afrique du Sud dans le chaos. J'ajoute, pour compléter le tableau, que Vincent appartenait à la grande bourgeoisie catholique parisienne (ses parents habitaient rue de Varennes, c'est vous dire), qu'il allait à la messe et prônait bien sûr les valeurs évangéliques. Ses propos me révulsaient, on s'engueulaient, mais c'était quand même mon copain, et je tenais à son vélo.

Seconde anecdote : 1984-1984, je travaillais à Paris, dans le bureau d'une régie publicitaire, à vendre par téléphone des encarts pour des magazines d'entreprises. Chaque vendredi soir, pendant plusieurs semaines, en sortant du bureau, mon attaché-case à la main (!), je me rendais quai Branly, devant l'ambassade d'Afrique du Sud, pour manifester ma solidarité à Nelson Mandela, avec une cinquantaine d'autres personnes à chaque fois. Je portais un badge anti-apartheid, parce que c'était la mode des badges (solidarnosc, Touche pas à mon pote). Mandela avait alors un titre de gloire qui en disait long et qui m'impressionnait beaucoup : "le plus vieux prisonnier politique du monde". Mais l'apartheid autant que les régimes communistes semblaient ces années-là des régimes immuables, ancrés à jamais dans l'Histoire. Ainsi, nos manifestations étaient vécues comme des témoignages un peu dérisoires, dont les télés et les radios parlaient assez peu.

J'ai revu Vincent une seule fois, dans son bel appartement rue de Varennes, plusieurs années après notre amitié pyrénéenne. Il suivait des études de droit. Il m'a reçu chez lui par politesse, pas très longtemps, il avait du travail à faire. J'ai compris : je n'étais plus son ami. Nous n'avons évidemment pas parlé de Nelson Mandela ni de l'apartheid, puisque nous avons si peu parlé. Je ne sais pas ce qu'il est devenu depuis. Mais il est sûrement resté bourgeois, peut-être avocat d'affaires, cadre supérieur, haut fonctionnaire ... Je me demande quelles sont, en ce jour du décès de Nelson Mandela, ses réactions : pense-t-il toujours que l'apartheid n'était pas une si mauvaise chose ? Voit-il encore en Mandela un dangereux perturbateur de l'ordre social ? Je ne le saurai jamais, je n'ai pas cherché à retrouver mon ancien ami Vincent, son nom s'est même effacé longtemps de ma mémoire. Il me revient seulement à l'esprit aujourd'hui.