jeudi 8 janvier 2015

Le dieu des assassins



J'étais hier à Cambrai, pour faire une conférence sur l'optimisme (!), quand un auditeur, au premier rang, m'a demandé une minute de silence, m'apprenant la tuerie à Charlie hebdo. Mort de Cabu, de Wolinski, de Bernard Maris ... il y a des moments où l'on se dit que c'est impossible, qu'on va se réveiller d'un cauchemar. Mais c'est la tragique réalité. Deuil national aujourd'hui, nous avons observé une minute de silence au lycée Henri-Martin. Après la douleur, l'indignation et le recueillement vient le temps de la réflexion et de la riposte. La mobilisation populaire, massive, spontanée est déjà une première réponse, une saine réaction. Mais après ? Que faut-il comprendre dans ce qui s'est passé ? Comment agir maintenant ?

Des hommes sont morts, mais aussi des symboles, qui ne représentaient pas seulement la liberté d'expression, mais toute une culture de l'insouciance, du rire et de la contestation, issue en grande partie des années 60. Wolinski c'était le bon vivant, Cabu l'écolo pacifiste, Maris l'économiste intello, pour ne citer d'eux. Qu'ils puissent disparaître sous des balles, étrangers qu'ils étaient à toute forme de violence, a quelque chose d'inconcevable, de sidérant, de traumatisant, dont la simple indignation ou la condamnation n'arrivent pas à rendre compte. Nous le savions, mais nous le découvrons en plein coeur de Paris : le monde est dangereux, l'histoire est tragique, l'homme n'est pas forcément bon.

Nous nous rappelons aussi que la démocratie est un régime fragile, exceptionnel, qui ne va pas de soi, qui peut sans cesse être menacé. La démocratie, c'est le renoncement à la violence physique, la prohibition du crime et le transfert des affrontements dans le débat politique. Toute l'histoire collective de l'humanité est au contraire constituée par la haine et le meurtre.

Le massacre opéré hier n'est pas l'oeuvre de fous ou d'idiots. C'est un acte de guerre mené par des militants déterminés, disciplinés, prêts au sacrifice de leur vie. Le problème de la démocratie, c'est qu'elle a du mal à faire la guerre. Elle songe plus à pleurer les victimes qu'à châtier les bourreaux. Pourtant, les forces militaires de notre pays sont engagées sur des terrains extérieurs. L'ennemi, qu'il faut désigner, c'est une idéologie religieuse, politique, théocratique : l'islamisme.

Le combat est d'autant plus difficile et délicat que nous ne savons plus trop ce qu'est une religion, dans nos sociétés sécularisées, nous sommes tentés involontairement par l'amalgame. Nous ignorons ce qu'est l'histoire, la démocratie étant plus préoccupée par l'avenir que par le passé. Ce qu'il faut dire, c'est qu'il existe une violence religieuse qui est terrible, qu'il y a un dieu des assassins, mais qu'a contrario la religion n'est pas en soi violente ou criminelle. Il faut ajouter que l'islam n'a pas le privilège de la violence : les Croisés chrétiens étaient des pillards massacreurs, les Inquisiteurs à la fin du Moyen Age ont brûlé des milliers d'innocentes victimes, les catholiques sous l'Ancien Régime ont persécuté et tenté d'exterminer les protestants. Mais le christianisme a aussi donné le raffiné saint Augustin, le pacifique saint François d'Assise et la charitable mère Térésa. Il en va de même pour la religion musulmane.

Le risque de cette période tragique pour la France, c'est de voir la communauté musulmane accablée. Elle n'a pas à se justifier, pas à en faire plus que n'importe quels autres citoyens. Il n'y a pas de rapport entre immigration et islamisme. Ce n'est pas moins de République, plus d'autorité et de xénophobie qui permettra à la France d'être sauvée et la guerre gagnée. Au contraire, c'est plus de République qu'il nous faut. Et puis, il ne faut pas avoir peur, car c'est le but du terrorisme : semer la terreur. Les sociétés occidentales modernes, très portées sur les affects, ont du mal à surmonter leur peur, leur sensibilité. Il le faudra pourtant. Sinon, les tueurs l'auront emporté et les morts n'auront servi à rien.

mercredi 7 janvier 2015

Hommage



Hommage aux victimes de l'attentat terroriste perpétré aujourd'hui à Paris, dans les locaux de l'hebdomadaire Charlie hebdo. Parmi elles, Cabu, venu à Saint-Quentin le 12 mai 2012, dans le cadre du festival de la BD et du livre jeunesse (en vignette, à l'espace Saint-Jacques ; voir aussi le billet de ce jour). Douleur et recueillement ce soir. Réflexion et réaction demain.


Houellebecq partout



Il est réjouissant de voir que l'un des plus grands écrivains français contemporains, peut-être le plus grand, soit à la une des médias depuis quelques jours, alimente les conversations. Quel autre pays est capable, a envie de créer un événement littéraire de cette envergure ? Je n'en vois pas. Mais il est aussi inquiétant de constater, une fois de plus, qu'un ouvrage provoque des réactions moralisatrices, parce qu'il est pris seulement au premier degré, en son sens littéral et pas littéraire. Ce qui fait pourtant la richesse et la raison d'être de la littérature, et de l'écriture en général, c'est la multitude des degrés, qui laisse une entière liberté d'interprétation (donc d'intelligence) aux lecteurs.

Nous vivons une époque de greffiers (d'où le recours pavlovien aux tribunaux) : les propos sont pris au pied de la lettre, comme les Témoins de Jéhova lisent la Bible. Houellebecq en est lui aussi la victime. C'est inquiétant parce que c'est une négation de l'art et de l'artiste, dont la liberté doit être absolue. La discussion et la critique, oui, et l'oeuvre de Houellebecq y pousse avec bonheur. Mais la remontrance et la condamnation, non.

Je n'ai bien sûr pas encore acheté ni lu "Soumission". Mais les médias nous en parlent comme si son contenu était bien connu : c'est formidable, c'est involontairement houellebecquien ! Ce que je comprends, parce que j'ai lu à peu près tous ses autres bouquins, c'est que Houellebecq met en scène, à nouveau, les fantasmes contemporains. Dans une société sécularisée, déchristianisée, matérialiste et petite-bourgeoise ("classes moyennes", dans le langage d'aujourd'hui), le fantasme absolu, qui intrigue, attire et effraie, ce n'est plus le cul, c'est la religion. La seule qui fasse parler d'elle, qui provoque, qui aille jusqu'au bout d'elle-même, qui nous interroge, c'est l'Islam. Voyez comment un simple bout de tissu, un voile sur la tête, a pu susciter en France des débats idiots, imaginaires et trouillards. Le fantasme musulman est nourri par un autre fantasme, d'extrême droite (Le Pen à l'Elysée !). En ce moment, la France est pris dans ce double trip, bad trip évidemment. C'est ce dont rend compte Michel Houellebecq, à sa façon d'écrivain, dans son dernier roman, dont bien sûr je vous reparlerai après lecture.

Un dernier mot : je suis content que "Soumission" nous fasse redécouvrir une oeuvre et un personnage méconnus, Huysmans, modèle de l'écrivain catholique converti du XIXe siècle. Par la même occasion, nous pourrions relire, avec plus de profit à mon avis, Barbey d'Aurevilly, de la même trempe mais quand même un peu supérieur. Surtout, hors-catégorie, meilleur d'entre les meilleurs, il faut vous précipiter sur les ouvrages de Léon Bloy, d'abord ami avec Huysmans, puis ennemi (mais Bloy était souvent comme ça, intransigeant, fanatique, islamiste de son temps, version chrétienne et littéraire). En revanche, Bloy a gardé jusqu'à la fin de sa vie sa fidélité à Barbey. Pendant que j'y suis, je vous signale que le dernier ouvrage de Bloy, "Dans les Ténèbres", a été publié en septembre dernier, chez Jérôme Millon (à ma connaissance, il était introuvable jusqu'à présent). C'est une série de réflexions, un vrai petit bijou, écrit en 1917 : le monde était en guerre et Bloy allait mourir. J'arrête là pour aujourd'hui : il y a tant à dire et tant à lire !

mardi 6 janvier 2015

Ce que je sais de Baur



Charles Baur nous a quittés. Qu'est-ce que je sais de lui, qui n'est pas de mon bord politique ? Quand j'ai aménagé à Saint-Quentin à l'été 1998 et que je me suis inséré très vite à la vie politique locale, ça a été pour entendre crier "Baur démission !" Il avait, au Conseil régional de Picardie qu'il présidait, fait alliance avec le Front national pour garder la majorité. Pour moi, c'était la faute politique impardonnable. J'ai alors adhéré au CLRIF, comité local de résistance aux infiltrations fascistes (tout un programme), lancé par le PCF. Déjà, à l'époque, les socialistes n'avaient guère d'activités publiques. Je suis allé là où ça bougeait, où il se passait quelque chose, même si ce n'était pas ma sensibilité. Nos actions étaient parfois un peu sauvages.

Je me souviens d'une visite de Charles Baur au lycée Condorcet, où je n'étais pas le dernier à gueuler, où je m'étais fait sérieusement bousculer. Nous avions aussi envahi la salle du conseil municipal, où j'avais interrompu le maire, Pierre André, du haut du balcon, ce qui m'avait valu la menace d'une évacuation. C'était un peu bête de ma part, ça ne servait pas à grand-chose, on se faisait plaisir, je le reconnais aujourd'hui. Mais j'étais jeune, il faut me pardonner ... En même temps, à choisir, mieux vaut ça qu'une gauche amorphe et atone.

Charles Baur, je l'ai revu quelques années après, au lycée Henri-Martin, pour le 150e anniversaire de l'établissement. Grand, bien fringué, le geste ample, beau parleur, très à l'aise, sachant y faire, il avait offert pour l'occasion un piano. Ce que je sais aussi de lui, c'est qu'il avait été battu par la socialiste Odette Grzegrzulka, alors parachutée, lors des élections législatives de 1997. C'était une belle victoire, qui laissait présager un bel avenir pour le PS à Saint-Quentin. J'ai participé à ces quelques années d'espoir. Si j'avais su la suite ...

Baur, c'est un parcours politique à l'ancienne, dont on comprend mal aujourd'hui les origines. Aussi surprenant que cela paraisse, l'homme vient de la gauche, de la SFIO, l'ancêtre du PS. Il est probable que dans les années 60, il était autant anti-gaulliste qu'anticommuniste. Quand l'union de la gauche s'est réalisée, quand le Programme commun a lié socialistes et communistes, c'était trop fort pour lui, il est parti, il a rejoint le centre-droit. Homme de convictions donc, mais aussi homme de pouvoir, prêt à pactiser avec le diable pour conserver le sien. Elu qui a exercé plusieurs mandats, qui a des bilans à son actif. S'il y a un Jugement dernier pour les hommes politiques, je ne sais pas de quel côté penche la balance de Charles Baur.

lundi 5 janvier 2015

Le temps de la reconquête



Très bonne séquence médiatique, ce matin, avec François Hollande sur France-Inter, que j'ai écouté avant d'aller au boulot. Deux heures d'explications, des réponses aux auditeurs : en termes de communication, c'était parfait. Rien de nouveau était attendu. Le bilan est suffisamment riche pour ne pas en rajouter. C'est surtout le ton qui a été remarqué : très offensif, combatif même. C'est très bien. La ligne est fixée, elle ne changera pas d'ici 2017.

Les socialistes doivent maintenant se rassembler, tirer dans le même sens, se regrouper dans la position de la tortue, avancer sous les boucliers, comme le faisaient les armées romaines : c'est ainsi qu'elles ont conquis le monde. Nous sommes entrés dans l'ère de la reconquista : hauts les coeurs et sus aux traîtres ! La loi Macron, c'est tout bon, il faut la défendre pied à pied. Cécile Duflot est une ingrate et une renégate, qui vomissait sa bile dans le JDD
d'hier.

Nous ne sommes qu'au milieu du guet, c'est-à-dire du quinquennat : avec l'esprit de conquête et d'adversité, tout reste possible. Les élections départementales et régionales seront une première étape, un début de revanche sur le sort, pourvu qu'on n'ait pas comme candidats les cageots de service. Il faut mettre des fidèles, des hollandais à tous les étages, pas des fourbes qui ne rêvent que d'une défaite pour se refaire une santé et une beauté dans l'opposition.

La gauche transforme, réforme, modernise la France, comme elle ne l'a jamais fait. Il faut soutenir ce gouvernement avec enthousiasme. L'avenir lui rendra justice, et condamnera les cancrelats qui lui mettent des bâtons dans les roues. Le président ne peut pas gagner tout seul la bataille de l'opinion. Il faut, dans cet objectif, la contribution massive du parti, qui doit s'engager dans une pédagogie de la réforme. Les deux années qui viennent vont être politiquement passionnantes.

dimanche 4 janvier 2015

Ah les braves gens



Le refus du maire de Champlan, Christian Leclerc, divers droite, d'autoriser l'inhumation d'un enfant rom, un bébé, Maria, dans sa commune est odieux, ignoble, terrible. Pourtant, je suis sûr que c'est un brave homme. D'ailleurs, il n'a pas osé s'exprimer sur cette affaire, sans doute par mauvaise conscience. Ses proches ont parlé de "quiproquo", se sont retranchés derrière l'argument juridique (le premier magistrat est dans son bon droit), n'ont pas vraiment assumé ce choix, preuve qu'eux-même sont gênés, sentent que c'est une dégueulasserie.

L'histoire de l'humanité est pleine de braves gens, à l'image de Christian Leclerc, qui ne pensent pas à mal, qui appliquent tout simplement les règles et qui se transforment, parfois sans s'en rendre compte, en petits ou en grands salauds. D'où cela vient-il ? De l'époque, du climat, de l'ambiance. Nous vivons actuellement en France une période détestable, où les idées d'extrême droite influencent l'espace public, où un parti ouvertement xénophobe vole de victoire électorale en victoire électorale (les prochaines élections départementales vont être terrifiantes), s'est complètement installé dans l'espace médiatique et dans la tête des gens, y compris des braves gens (qui sont la majorité du pays).

Je n'aime pas employer le mot de "racisme" (même si c'est ça), parce qu'il renvoie à une idéologie, la supériorité d'une race sur toutes les autres (l'affaire de Champlan, ce n'est quand même pas ça). Employons donc le mot juste, qui ne diminue d'ailleurs aucunement la gravité des faits : c'est de la "xénophobie", une méfiance, un refus, un rejet de ce qui est étranger. Pendant longtemps, l'étranger, c'était le juif, puis l'arabe. Aujourd'hui, c'est le rom qui est montré du doigt. Même quand il s'agit d'un pauvre enfant qui vient de mourir, qui n'y est pour rien, dont la famille vit dans un bidonville. Voilà à quoi un brave homme, premier magistrat de sa commune, a été insensible, en touchant à ce qu'il y a de plus humain dans l'histoire de l'humanité : le droit à une sépulture au plus près des siens.

Heureusement, il y a d'autres braves gens qui comprennent, qui sont sensibles, qui n'ont pas renoncé à leur part d'humanité, qui ne sont pas aveuglés par le discours et la mentalité d'extrême droite. Richard Trinquier, maire UMP de Wissous, à 7 km de Champlan, en fait partie : il accueillera dans le cimetière de sa commune le corps de Maria. Braves gens, ayez à l'esprit ce terrible et édifiant fait divers, à quelques semaines du premier tour des élections départementales.

samedi 3 janvier 2015

L'homme qui aimait Truffaut



Une fois de plus, la Cinémathèque française, quai de Bercy, à Paris, nous gratifie d'une très belle exposition, agréable, intelligente et pédagogique, consacrée à l'oeuvre de François Truffaut. Ce que j'aime chez le cinéaste, et qu'on a tendance à oublier, c'est qu'il a d'abord été une plume avant d'être une caméra : un critique de cinéma, un écrivain, juste et féroce avec le cinéma de son jeune temps (les années 50). Vignette 1 : l'affiche des "400 coups" en japonais (ou chinois ?).

Après Bercy, vous prenez le métro direction Nation, correspondance pour porte Dauphine, vous descendez à Ménilmontant, remontez la rue du même nom jusqu'au 121, le Pavillon Carré de Baudouin, qui invite à une exposition Michel Houellebecq. Comme Truffaut n'est pas que cinéaste mais aussi littérateur, Houellebecq n'est pas qu'écrivain, il est aussi photographe. En vignette 2 : une formule très houellebecquienne. En vignette 3 : un houellebecquien inconditionnel devant une oeuvre pieuse du maître. En attendant la sortie la semaine prochaine de son nouveau roman, "Soumission", qui fait déjà polémique (voir Libération d'aujourd'hui).

S'il vous reste du temps, passez par le musée d'Orsay et l'Institut des Lettres et manuscrits : deux expositions nous donnent à lire ou à relire les ouvrages du marquis de Sade. Truffautiste, houellebecquien, je suis aussi un peu sadien (mais pas sadique).