lundi 3 juillet 2017

Premier de la classe



J'ai suivi cet après-midi tout le discours d'Emmanuel Macron devant le Congrès. Un mot de lui m'a frappé, souvent répété : profond. De fait, cette intervention d'une heure trente a été d'une grande profondeur. A tel point qu'on était moins dans un discours politique classique que dans une sorte de dissertation philosophique ou un exercice littéraire. Il faut remonter à François Mitterrand pour retrouver une telle qualité d'écriture. Encore me semble-t-elle supérieure ! J'imagine les jeunes arrivistes habitués à leur smartphone et les vieux briscards familiers du sommeil parlementaire !

Profondeur aussi dans l'ampleur du changement, des réformes proposées. Je ne les cite pas, vous les connaissez, Macron les avait annoncées durant sa campagne. Une seule, quand même, pour le plaisir, presque pour le fun : un tiers des parlementaires assis devant lui ont été promis à disparition, ce qui ne les a pas empêchés de l'applaudir ! Comme une nuit du 4 août où les aristocrates abolissent leur privilèges ... Sacré Macron ! Il veut aller vite, il cherche à bousculer les institutions mais il aspire à mieux, à plus difficile : changer les mentalités parlementaires et politiques. Le vieux monde est prévenu : il ne subsistera pas.

Emmanuel Macron a fait un discours de premier de la classe. Tellement premier qu'il est en dehors, au dessus, hors-catégorie, extérieur à cette classe politique qu'il a bouleversée, profondément renouvelée. Il était cocasse de voir ces parlementaires, habitués à disputer, adeptes du brouhaha, se taire et écouter pendant une heure trente. Mais Macron n'avait rien d'un monarque : au contraire, c'était rendre hommage à nos institutions parlementaires que de s'adresser à elles, les impliquer et surtout les vivifier en les rénovant, en les réformant. Nous avons vu un président en majesté, pas un roi autoritaire, pas même un despote éclairé.

Son discours fera date. Ce n'est pas un texte de commande rédigé par un conseiller avisé. Tout macronien aura reconnu la patte, le vocabulaire, les idées de notre ... comment dire ? ... leader, référence, modèle, inspirateur. Peu importe : il est aujourd'hui président de tous les Français. Son discours devant le Congrès marquera comme la séance inaugurale de son quinquennat. Tout le macronisme était concentré dans cette déclaration, ferme, ouverte, sans concession. Je n'ai pas applaudi devant ma télévision, je ne me suis pas levé dans mon salon, mais le cœur y était.

dimanche 2 juillet 2017

En même temps ...



C'est rarissime : il m'arrive dans ce blog de donner la parole à d'autres (hormis les commentaires, qui sont libres). Didier Martz est un collègue rémois, j'ai presque envie de dire un confrère, au parcours atypique (consultez son site, mentionné à la fin du texte). Les réflexions qu'il nous propose sont toujours pertinentes et stimulantes. J'ai choisi de vous livrer aujourd'hui celle-ci, qui analyse mieux que je ne saurais le faire la formule remarquée d'Emmanuel Macron : en même temps ... Je ne sais pas si Didier est macronien, mais sa méditation ne laisse pas indifférent. Bonne lecture !



Ainsi va le monde n° 380 - En même temps...

Je ne sais pas vous mais moi je suis plutôt surpris qu'on puisse se gausser de ce que les uns s'empressent d'appeler un « tic de langage » chez notre nouveau président. Un peu moins maintenant mais il a été régulièrement critiqué pour son usage répété de l'expression "en même temps", tellement répétée qu'elle pouvait apparaître comme un tic. Au-delà du mouvement convulsif, d'autres ont vu là le témoignage d'une personne hésitante incapable de se décider, de se déterminer entre deux ou plusieurs choses ou d'opter pour un parti, pour une solution. Ainsi l'âne de Buridan avait « en même temps » soif et faim, tellement soif et faim, tellement incapable de choisir, qu'il en mourût.

Ce qui n'arrivera pas à notre président car son « en même temps », loin d'être un tic de langage ou le signe de l'indécision est l'expression d'une philosophie et d'une politique. J'ai déjà eu l'occasion de présenter ici l'aquoibonisme dérivé de l'expression « à quoi bon » et de l'alorquoisme lui dérivé de l'autre expression « alors quoi » et je crois que l'usage de l'expression « en même temps » pourrait donner l' « enmêmetemp-isme », un mode de pensée permettant de faire tenir « en même temps » ou ensemble donc, des contraires, des contradictions ou des opposés qui habituellement n'ont rien à faire ensemble et qu'en bonne logique il conviendrait de résoudre par l'élimination de l'un ou l'autre des termes de la contradiction. Ce que nous faisons facilement – enfin pas toujours – lorsqu'il nous faut nous déterminer pour le fromage ou le dessert.

Pour Emmanuel Macron au contraire, utiliser « en même temps » c'est certes nuancer un propos mais ça signifie aussi que l'on peut et doit prendre en compte des principes opposés. Je choisis, dit-il, « la liberté et l'égalité, la croissance et la solidarité, la gauche et la droite et même le centre, l'entreprise et les salariés... » Bref, ajoute-t-il, je tiens à me démarquer de ceux « qui aime les cases, les idées bien rangées », toujours un peu trop dogmatiques.

Bien avant, Edgar Morin, grand penseur devant les hommes, nous avait invités dans sa théorie de la complexité à nous départir de cette forme de pensée binaire qui consiste à réfléchir à coup d''exclusion : c'est blanc ou noir, c'est l'un ou l'autre mais pas les deux ensemble. Au contraire, le clair peut être obscur, la joie triste, le jeune vieux et inversement. Vive l'oxymore, finis les oppositions, les conflits, les contradictions, les intérêts divergents, les différences, tout s'apaise, se lisse et se calme. On est ni de l'un, ni de l'autre... On est et de l'un et de l'autre... De ci, de là.

Comme en physique quantique, l'onde et la particule absolument contradictoires font bon ménage dans le rayonnement lumineux ; la particule peut être là et ailleurs ; des évènements qui auraient pu se produire, mais qui ne se sont pas produits, influent sur les résultats de l'expérience ; le présent peut agir sur le passé, etc. etc. Bref tout est dans tout, le même est « en même temps » le même.

Ainsi, je peux désormais aller voir là-bas si j'y suis, « être en même temps » là et ailleurs. On pourrait voir là un retour à une philosophie de l'absurde, au théâtre de l'absurde du milieu du XXème siècle où les personnages sont réduits au rang de pantins incapables de penser tant les cartes et les repères sont brouillés. Comme dit Jacques Prévert « de deux choses l'une, l'autre est le soleil » ! Ainsi va le monde !

Didier Martz, essayeur d'idées
lundi 26 Juin 2017
www.cyberphilo.org

samedi 1 juillet 2017

Ici, maintenant, vite



La mémoire de Simone Veil a été saluée, dans les médias et par les personnages publics, comme il se doit. Je n'ai rien à ajouter, sauf à répéter. Une seule chose m'a irrité, une manie de notre époque, que j'ai à plusieurs reprises dénoncée sur ce blog (et les occasions hélas ne manquent pas) : l'esprit d'urgence, l'incapacité à attendre. Une grande dame nous a quittés : normalement, nous entrons dans une période de recueillement, de silence, méditant sur sa vie, son œuvre, sa personnalité. Pourquoi ce besoin d'annoncer immédiatement des initiatives pour honorer son nom, alors que les obsèques nationales n'ont pas encore eu lieues ?

Le maire de Paris s'enquiert déjà d'un endroit qui s'appellerait Simone Veil. Pourquoi cette précipitation ? Autrefois, nous laissions s'écouler un délai de deuil. Aujourd'hui, que cherchons-nous à prouver en faisant montre d'une telle rapidité ? C'est que la société a complètement changé : twitter, SMS, Facebook ont modifié notre rapport au temps : nous ne vivons plus, nous n'existons que dans l'instant. Tout passe très vite, il faut être réactif. Nous ne savons agir que dans le présent. Un événement en chasse un autre. Hier est effacé, demain sera un autre jour. Notre mémoire est devenue tellement fragile que nous en avons fait étrangement un devoir.

Il y a plus surprenant : les voix qui s'élèvent pour demander que Simone Veil entre au Panthéon, la pétition en ligne qui défend cette proposition et récolte des milliers de signatures. Le corps repose à domicile et l'inhumation dans le Temple de la République est réclamée, sans qu'on s'informe au préalable de l'avis de la famille. Une entrée au Panthéon exige une réflexion, est étudiée par une commission. Mais après l'instantanéité, le deuxième trait de notre époque est l'émotivité : là aussi, il faut être prompt, car le sentiment est un état variable. Il y a beaucoup d'indécence dans ces comportements, et une forme de vulgarité : croit-on qu'il est digne qu'une telle reconnaissance nationale soit soumise à pétition, comme n'importe quelle autre revendication ? Croit-on qu'il est respectueux de faire dépendre un pareil choix d'une liste de signatures, d'une série de clics sur internet ? La technologie pourrit tout, la bonne conscience se charge du reste.

L'infidélité marque tellement aujourd'hui les mœurs que ce qui n'est pas fait sur l'instant ne l'est plus après : c'est maintenant ou jamais. La frénésie cache la peur de l'oubli. La perte de mémoire nous angoisse. Quand Jean-Paul II est mort, la foule devant le Vatican criait : Santo subito ! Même les catholiques, qui ont du temps devant eux puisqu'ils croient en l'éternité, cèdent à l'obsession de l'urgence. Pourtant, pendant des siècles, l'Eglise nous a appris qu'il fallait attendre avant d'établir la sainteté d'un fidèle, et attendre longtemps, très longtemps. Nous ne croyons plus, infidèles que nous sommes, aux vertus de la durée. Nous voulons tout, tout de suite, très vite, pour ne plus avoir à y revenir, parce que demain nous serons passés à autre chose. Il est beau de rendre hommage à Simone Veil depuis quelques heures. Il sera encore plus beau de lui rendre hommage dans quelques semaines, quelques mois et quelques années. Mais alors, combien serons-nous au rendez-vous ?

vendredi 30 juin 2017

Si Versailles m'était conté



Le président de la République réunit lundi le Congrès à Versailles. Et le voilà qu'il se fait traiter de Louis XIV ! La procédure est légale, institutionnelle : certains vont jusqu'à faire entendre qu'elle serait antirépublicaine ! Au contraire, c'est un hommage rendu au Parlement que de se rendre devant lui, solennellement, en début de mandat, pour lui expliquer la politique qu'on a l'intention de mener. Et puis, c'était une promesse de campagne d'Emmanuel Macron : il a dit, il le fait. Comment le lui reprocher ?

Autre critique : ce Congrès se tient à la veille de la déclaration de politique générale du Premier ministre, c'est un "coup de force", une "humiliation". Tout de suite les grands mots, qui sont aussi grands que faux ! Le président définit les grandes lignes de sa politique, son Premier ministre précise les modalités de son application. C'est l'esprit et la lettre de la Constitution. Il en a toujours été ainsi. Où est le "coup de force" ? Où est l'"humiliation" ?

Enfin, Emmanuel Macron a des choses importantes à dire devant le Parlement, qui le concerne directement : on peut penser que seront abordées la diminution du nombre de députés et l'introduction d'une part de proportionnelle (engagements là aussi du candidat). N'est-il pas normal et juste que ces annonces soient faites devant les parlementaires ? Ceux qui n'iront pas lundi à Versailles, parce qu'ils craignent une visite royale, se trompent lourdement. Une telle réaction, une pareille suspicion, c'est encore de la vieille politique ...

Le fond du problème est aussi ancien que la Vème République. Traiter Macron de monarque est d'une banalité absolue : tous les présidents de la République y ont eu droit, y compris de gauche. La raison en est que notre système constitutionnel a cette particularité d'être à la fois présidentiel et parlementaire. Dès les années 60, le politologue Maurice Duverger le qualifiait de "monarchie républicaine". Depuis, l'accusation est devenue un cliché. Macron n'est pas plus roi que de Gaulle ou Mitterrand. Il applique simplement le pouvoir qui est le sien.

Durant sa campagne électorale, Emmanuel Macron n'a pas promis une VIème République. La question institutionnelle n'a pas été abordée par lui. Deux indications cependant : il a souhaité laisser plus de latitude à ses ministres ; il s'est engagé à s'expliquer une fois par an devant le Parlement, pour faire le bilan de son action. Ce qui donne à penser que la philosophie politique de Macron le conduirait plutôt vers le régime présidentiel. L'instauration du quinquennat va dans ce sens-là.

Le seul débat légitime est celui-là : veut-on une Vème République qui aille vers un régime présidentiel (le président stratège) ou vers un régime strictement parlementaire (le président arbitre) ? Veut-on en rester à l'ambiguïté actuelle, qui favorise l'une ou l'autre des tendances selon les moments ? Veut-on carrément passer à une autre Constitution, une VIème République, dont il faut alors définir les contours ? Tout le reste - Macron autoritaire, Philippe humilié, Parlement bafoué, République outragée - n'est que polémique inutile, partisane et stupide. Lundi, si le Congrès se réunit à Versailles, ce n'est pas pour rejouer le film de Sacha Guitry, et personne n'aura à enfiler les costumes d'époque.

jeudi 29 juin 2017

France is back



Le prochain 14-juillet promet : Emmanuel Macron et Donald Trump côte à côte dans la tribune présidentielle, sur les Champs-Elysées, pour le défilé militaire ! Voilà qui va faire parler les grincheux, et c'est toujours un plaisir de les entendre : leurs protestations sont un hommage involontaire rendu à leurs victimes ... Il y a des tirs qui ne profitent qu'à la cible. Macron-Trump, quelle tête d'affiche ! Un peu comme au cinéma lorsque sont réunis Delon et Gabin, ou bien, plus près de nous, Batman et Superman. Cocktail détonnant : le Frenchie et le Ricain, le jeune séducteur et le vieux beau, l'intellectuel raffiné et l'affairiste ignare.

Ce coup de poker diplomatique n'était pas gagné d'avance, et Macron est déjà gagnant. En lançant l'invitation, à l'occasion du centenaire de l'intervention américaine en Europe, notre président n'était pas certain de la réponse. Aux yeux de Trump comme de n'importe quel président américain, la France n'est pas grand chose dans le vaste monde. Et ce n'est pas le passé qui intéresse tout bon Américain, c'est l'avenir. Alors, la commémoration historique d'une guerre lointaine et oubliée ...

Trump a dit quand même oui ! Il faut se demander pourquoi. Je crois qu'Emmanuel Macron a une force de conviction peu commune. Il ne bouscule pas que le paysage politique français. Surtout, je pense que Trump est intrigué par ce Français pas comme les autres, qui lui tient la dragée haute, qui a le culot de lancer, en anglais, un appel aux Américains pour qu'ils viennent s'installer en France (à la suite du rejet de la COP21). Allez savoir s'il n'y a pas une sorte de fascination : celle de Goliath pour David.

En tout cas, dès les premières semaines de son mandat, Emmanuel Macron s'est brillamment illustré là où on ne l'attendait pas : moralisation de la vie publique et réforme du code du travail, oui c'est en cours, mais c'est sur la scène internationale que Macron avance, s'impose, retient l'attention, fait espérer. Inimaginable il y a quelques mois. Les grands de la planète sont en marche eux aussi, mais derrière Macron, avec chez celui-ci un sens aigu de la communication, n'oubliant jamais l'opinion publique, cherchant à frapper les esprits : c'est Poutine reçu avec faste à Versailles, avec Macron au volant de la voiturette qui lui fait visiter le parc ; c'est la fameuse poignée de main à Trump, qui est tombé sur plus fort que lui.

Dans 15 jours, la France honorera à la fois son allié, à travers l'aide militaire qu'il nous a apportée il y a un siècle, en même temps qu'elle affirmera devant lui sa puissance militaire. Trump est ainsi : comme il n'en a pas beaucoup dans la tête, il faut lui en mettre plein les yeux. Mais rien de bêtement antiaméricain chez Macron, qui est prêt à collaborer avec la première puissance mondiale pour mettre un terme aux exactions du régime syrien. Trump et Macron sont si dissemblables qu'ils ont la capacité de s'entendre. Il y a des bras de fer qui rapprochent les adversaires.

Quoi qu'il en soit, avec Emmanuel Macron, la France est de retour dans le monde. Nos concitoyens en ressentent déjà une forme de fierté, de gratitude envers le nouveau président, même quand ils ne partagent pas ses idées. La belle victoire des législatives en est l'expression. D'autres victoires, d'autres surprises sont à venir dans les cinq prochaines années de son mandat. Malheur à tous ceux qui ne l'auront pas compris : ils seront condamnés à disparaître, à végéter ou à témoigner. Même Donald Trump a compris qu'il fallait venir, en être, ne pas ignorer l'Histoire qui se prépare.

mercredi 28 juin 2017

Petites histoires de cravates



Ce qui surprenait dans les commentaires d'hier sur la rentrée parlementaire, c'était la métaphore scolaire : l'analogie avec la rentrée des classes, qui illustre une fois de plus l'infantilisation de notre vie publique. Il y avait les bons élèves (la République en Marche), les perturbateurs (la France insoumise, forcément), les paumés (le PS qui n'est plus socialiste mais Nouvelle gauche), les oubliés (que sont devenus les communistes ?) et puis bien sûr le chouchou, François de Rugy.

Les commentaires se sont longuement fixés sur une absence, celle d'un bout de tissu : la cravate des insoumis, qui ont fièrement revendiqué cet abandon quasiment révolutionnaire, en se comparant aux sans-culottes. Sauf que ceux-ci, pendant la Révolution française, risquaient leur vie et renversaient un système politique millénaire. Avec Mélenchon et ses amis, on en est encore loin. C'est oublier aussi que ce refus n'en est pas un, puisque le règlement de l'Assemblée nationale n'oblige pas au port de la cravate. Bref, on est dans l'épate.

L'incident ridicule a eu le mérite de me rappeler ma première cravate (racontez-moi la vôtre !). C'était en 1984, je travaillais dans une régie publicitaire. En fin d'année, le patron a invité ses salariés au cabaret parisien "Le Paradis Latin". J'ai compris, en discutant avec les collègues, que la cravate était conseillée. Je m'en suis achetée une, en demandant à la vendeuse de me faire le nœud, parce que je ne savais pas.

Ce qui est amusant, c'est que j'ai porté le plus longtemps la cravate, pendant des années, au travail, lorsque j'étais au plus bas de l'échelle sociale, en tant que gardien (on ne disait pas à l'époque agent de sécurité). Comme quoi associer la cravate à une distinction bourgeoise est très discutable. Devenu enseignant, j'ai opté pour la cravate les deux premières années, il y a presque 25 ans, afin d'asseoir mon autorité auprès des élèves, faire sérieux, faire adulte. Mais j'ai vite abandonné cette illusion : la cravate ne fait pas plus l'homme que l'habit ne fait le moine.

Dans la vie politique, j'ai quelques souvenirs. En 1969, le trotskiste Alain Krivine se présente à l'élection présidentielle, à la suite du mouvement de Mai. C'est un révolutionnaire pur et dur, comme on n'en voit plus aujourd'hui, même à l'extrême gauche. A votre avis, passant à la télévision, portait-il la fameuse cravate ? Oui ? Non ? Eh bien c'est ... oui ! D'où son surnom d'alors : Krikri la cravate. Sans doute avait-il à l'esprit, en un temps où la classe politique, même dans ses minorités, était cultivée, que son maître Léon Trotski était particulièrement élégant et ne négligeait pas sa tenue vestimentaire, contrairement à d'autres bolchéviques.

Autre souvenir marquant : l'émission télévisée Droit de réponse, au début des années 80, invite le très contesté Robert Hersant, patron du Figaro, droitier et grand bourgeois. Son animateur, Michel Polac, est un vieil anar qui ne met jamais de cravate à l'écran ... sauf ce jour-là. Hersant, cravaté comme il se doit, le lui fait remarquer ... et c'est gagné pour lui : Polac s'est soumis au code vestimentaire de son adversaire.

Dans mes activités publiques et associatives, j'avais remarqué, il y a quelques années, que la cravate était appréciée surtout dans les milieux populaires, comme une marque de respect. Je me souviens d'une réunion de remises de médailles sportives où l'élu du coin, chargé de présider la cérémonie, était venu sans cravate. Dans le public, il y a eu de discrètes remarques de désapprobation : "Il n'a même pas mis de cravate !" Les insoumis veulent faire peuple : ils se trompent.

Mais ces petits histoires de cravates sont fort anciennes. Tout a changé aujourd'hui. La cravate fait ringard. Le chic est de n'en pas porter. Mélenchon se croit anticonformiste : il colle au contraire à son époque. En Grèce, le Premier ministre Tsipras se distingue depuis déjà pas mal de temps par le col libre et déboutonné de ses chemises parfaitement blanches. En France, Xavier Bertrand a suivi, et Julien Dive a suivi Xavier Bertrand : pas ou peu de cravate ! Même chez des hommes de droite ! La France insoumise devra donc faire beaucoup plus d'effort pour paraître originale et rebelle.

mardi 27 juin 2017

La rentrée durera cinq ans



Alors, cette rentrée parlementaire ? Pas de révélation politique, mais des signes, des nouveautés, des paradoxes. Dans l'hémicycle, des députés prennent des photos avec leur portable (peut-être même se prennent-ils en photo, pour leur compte Facebook !) : je n'avais jamais vu ça.

François de Rugy a été élu président de l'Assemblée nationale : qui le connaît ? Etonnante trajectoire ! Un EELV qui a quitté ce parti il n'y a pas si longtemps, se retrouvant quasiment seul, puis participant à la primaire socialiste, s'engageant à soutenir son vainqueur, mais ralliant finalement Macron : voilà comment on devient le quatrième personnage de l'Etat ! Et l'un des rares écologistes à occuper un poste important dans la République.

Et la REM ? Il faudrait plutôt l'appeler la Révolution En Marche, puisqu'elle instaure dans ses rangs la rotation des responsabilités parlementaires, qui changeront donc à mi-mandat, y compris le président de l'Assemblée. Ce n'est pas tout à fait le mandat impératif ou révocable, cher à l'extrême gauche, mais nous n'en sommes pas loin.

Il n'y aura pas de groupe de centre gauche en soutien à la majorité présidentielle. C'est bien dommage. La REM n'a pas besoin, puisque sa majorité est absolue. Elle pourra s'appuyer sur les centristes du MoDem et les constructifs de la droite. Mais une aile gauche aurait été la bienvenue. Tant pis. Ce sont surtout les socialistes qui y perdent, en se marginalisant plus qu'ils ne le sont.

Mais y a-t-il encore des socialistes ? Leur groupe renonce à cette étiquette pour s'appeler Nouvelle gauche. Battu dans les urnes, le PS valide maintenant sa défaite dans le vocabulaire : c'est peut-être encore plus grave. Voilà en tout cas qui donne raison à Manuel Valls, qui voulait changer le nom du Parti : nous n'en sommes plus très loin, au moment même où Valls le quitte ! Il y a des départs qui sont des victoires.

Et Mélenchon ? Fidèle à lui-même : très mauvais quand il n'est plus sous le feu des projecteurs. La courtoisie républicaine veut qu'on applaudisse le nouveau président de l'Assemblée : Mélenchon est resté ostensiblement assis, bras croisés. Et bouffon avec ça, n'assumant même pas ses prises de position, puisqu'il s'est fait photographier, tout sourire, avec Cédric Villani, après l'avoir il y a quelques jours violemment apostrophé. Pas sérieux, vraiment pas sérieux.

Voilà pour cette rentrée parlementaire. La suite dans les cinq prochaines années.