mercredi 30 septembre 2015

Débats municipaux



Lors du conseil municipal de lundi soir à Saint-Quentin, parmi les nombreux dossiers à l'ordre du jour, trois, très différents, donnaient vraiment lieu à des débats et divergences politiques : l'armement de la police municipale, la modernisation de la bibliothèque centrale, l'accueil des réfugiés.

1- Sur la police, le maire a ouvert le débat, alors qu'il pouvait s'en passer, n'étant pas obligé d'avoir une délibération du conseil municipal. Il a bien fait, puisque la question provoque des avis opposés. En faveur du port d'armes par les policiers municipaux, Xavier Bertrand s'est essentiellement confronté à Olivier Tournay (PCF), qui veut conserver les tâches de répression à la seule police nationale, du ressort de l'Etat, déplorant une "double police", des dérives possibles, mettant en avant l'exemple britannique d'une police sans armes.

L'existence de polices municipales ne me gêne pas. Leur armement non plus, quand la situation le justifie. Je ne crois pas que ce soit le cas à Saint-Quentin, où la délinquance existe comme partout ailleurs, mais bien moins qu'ailleurs, à ce que j'en sais. J'ai bien compris l'argument de Philippe Vignon, avocat : il s'agit de protéger les policiers. Mais alors, il faut que partout en France ceux qui portent un uniforme et sont potentiellement visés reçoivent à leur tour une arme. C'est excessif : il n'est pas bon d'entrer dans cette logique exponentielle, à la façon des caméras de vidéo-surveillance, qui sont utiles mais dont le nombre doit être raisonnablement limité : à Saint-Quentin, nous avons dépassé la centaine, c'est beaucoup, et la tendance est de suivre la demande de la population, qu'on imagine sans limite.

2- La bibliothèque municipale de centre ville, Guy-de-Maupassant, peut faire consensus jusqu'à un certain point (inutile de créer des clivages artificiels) : l'équipement est vétuste, le bâtiment est magnifique, les collections sont très riches (je parle aussi en usager). L'aménagement informatique est incontournable (pas de Wi-Fi pour l'instant !), mais deux points méritent d'être réfléchis : les horaires d'ouverture ne sont plus adaptés, et surtout il manque une salle pour les animations (conférences, ateliers, réunions, etc.). Actuellement, ces animations, qui donnent vie à la bibliothèque, se déroulent dans le hall, au milieu des passants, dans le bruit de ceux qui rendent leurs documents (elles-mêmes sont bruyantes dans tout le rez-de-chaussée). Ce n'est vraiment pas adapté. Que faire ? Je ne vois qu'une annexe, dans le quartier, qui pourrait résoudre le problème. En tout cas, c'est une idée.

3- Sur l'accueil des réfugiés, Xavier Bertrand a dit non, pour des raisons que je comprends : notre ville connaît de graves difficultés sociales, qui n'ont pas besoin d'être augmentées. Pourtant, je crois qu'il devrait accepter des familles : non pas des centaines, bien sûr, mais au moins quelques-unes, dix à quinze par exemple. Sommes-nous à ce point dans la difficulté pour ne pas faire cet effort-là, auprès de réfugiés de toute façon destinés à retourner chez eux ? Nous disposons à Saint-Quentin d'un réseau associatif, de certains compétences et, comme partout ailleurs, de bonnes volontés. Et puis, s'il faut prendre l'argent au détriment d'une autre activité, faisons-le ! La cause le mérite.

 Au plan national, toutes les forces politiques, à l'exception de l'extrême droite, s'accordent à ouvrir nos portes, autant que nous le pouvons, sans angélisme ni laxisme, à ces malheureux migrants. Même une ville pauvre peut tendre la main à des pauvres, même si, évidemment, la répartition nationale doit privilégier les agglomérations qui en ont les moyens. Je ne fais aucune leçon de morale à Xavier Bertrand (nous sommes dans la politique, pas dans la morale), ni aucun procès en électoralisme (je ne prête jamais d'arrière-pensées à quiconque, je juge seulement sur les actions et les déclarations). A sa place, je n'aurai pas agi comme lui sur ce sujet.

mardi 29 septembre 2015

Le Tournay nouveau est arrivé



Conseil municipal de rentrée, hier à Saint-Quentin. On prend les mêmes et ça recommence pour une année ? Pas tout à fait. A l'écran, une surprise : l'élu communiste Olivier Tournay a changé de look. Anecdotique ? Non, pas en politique. Il s'est rasé le crâne (c'est à la mode) et porte désormais cravate et veston. Pour un changement, c'est un changement ! Je trouve que ça lui va bien, qu'il a belle allure dans son nouveau costume, qu'il gagne en maturité. Il fait un peu plus vieux, et c'est tant mieux. Il prend de la bouteille, comme on dit. Pour un peu, monsieur le maire (ou le prochain, allez savoir !), ce serait lui, puisque le vrai, Xavier Bertrand, a au contraire remis la cravate au placard, pour jouer les Tsipras.

D'ailleurs, les deux hommes se sont choisis comme interlocuteurs, en gants de boxe : l'essentiel des altercations se sont produites entre eux. Olivier Tournay s'améliore de séance en séance, met son grain de sel assez efficacement, gêne à certaines entournures Xavier Bertrand, qui n'est pourtant pas tombé de la dernière pluie. Le jeune communiste s'est fait une tête d'oiseau de proie (c'est un compliment, dans l'univers rapace de la politique) pour affronter l'aigle royal qui trône sur le perchoir.

Il a bossé ses dossiers, c'est incontestable, maîtrise les aspects techniques, a le sens de la répartie, ne se laisse pas déstabiliser par les saillies du maire. Là où il a beaucoup progressé, c'est qu'il n'entre plus dans le jeu de Xavier Bertrand, qui n'a pas son pareil pour vous questionner et vous embrouiller. Tournay dit ce qu'il a à dire et ne s'encombre pas de réponses longues et inutiles. Il ne sur-réagit pas, comme il le faisant auparavant, se contentant de remarques sèches et brèves aux questions pièges de son adversaire.

Et puis, le contenu de ses interventions sont très politiques, donc très pédagogiques : on comprend tout, c'est clair, il ne se perd pas dans les détails, il ne pinaille pas sur des remarques de forme. Est-ce à dire que je suis d'accord avec lui ? Non, pas forcément, puisqu'il est communiste, et que je ne le suis pas. Mais je rêverais qu'Olivier Tournay devienne socialiste ! A-t-il un avenir ? Je n'en sais rien, je trouve simplement qu'il est bien parti, et je l'avais déjà distingué il y a quelques années. Il faut du temps pour faire un homme politique crédible !

Incontestablement, Olivier Tournay a, face à Xavier Bertrand qui l'a bien compris ainsi, une étoffe de leader (et pas seulement à cause de sa nouvelle veste). Mais c'est un leader seul, sans élus autour de lui pour le soutenir. A l'inverse des socialistes, qui ont des élus, mais pas de leader. Quant au Front national, il est resté muet durant les deux heures quinze du Conseil municipal : des sujets importants pour les Saint-Quentinois sont discutés, et ses élus ne trouvent rien à dire. Ce sont les électeurs qui vont être contents de ces drôles de représentants, inutiles !

lundi 28 septembre 2015

Les amateurs et les professionnels



Un livre tente de nous convaincre, entre sérieux et fiction, qu'Eric Zemmour ferait un bon candidat de toutes les droites aux prochaines élections présidentielles. Un sondage accrédite l'idée. C'est évidemment invraisemblable : on n'imagine pas le journaliste et essayiste, aussi populaires soient ses ouvrages, entrer à l'Elysée, ni même le tenter. Mais qu'on puisse le concevoir, y penser, en parler est révélateur de quelque chose. Ce n'est pas simplement une grosse farce.

A gauche, en moins spectaculaire, Jacques Attali n'écarte pas non plus une candidature. Il prépare un projet présidentiel et le portera si personne d'autre ne le fait. Là aussi, on n'y croit pas trop. Les intellectuels en politique, ça marche rarement.

Ces deux nouvelles me font souvenir que ce n'est pas bien nouveau. En 1974, la gauche avait pensé à un candidat de rassemblement qui n'était pas un politique : Charles Piaget, le syndicaliste des LIP, une bonne tête, une capacité lui aussi à réunir cette fois des gauches éloignées, la réformiste et la radicale, en ces années post-soixante-huitardes. Mais Mitterrand est arrivé et a très vite imposé l'Union de la gauche, PS-PCF-MRG, version Programme commun.

On a sans doute oublié que l'extrême droite elle-même s'est cherchée un candidat hors de ses rangs, l'écrivain Michel de Saint-Pierre, en vue des élections européennes de 1979, afin de rapprocher le FN et une organisation rivale alors en pointe, le PFN, Parti des Forces Nouvelles. En vain.

Et puis, il y a eu le fameux épisode Coluche en 1980. Le comique s'est d'abord lancé dans la course présidentielle par un gag, s'est finalement pris au jeu et au sérieux, avant que sa candidature ne sombre dans le pathétique et l'oubli. La rigolade en politique ne dure qu'un temps.

Dans les années 80, c'est Yves Montand que certains sondages donnaient comme possible postulant à la fonction suprême. Là aussi, le feu s'est éteint aussi vite qu'il est parti, et on n'en a plus entendu parler.

Plus près de nous, il y a quelques années, le philosophe Michel Onfray avait été pressenti par la gauche radicale pour une candidature à la présidentielle. Aujourd'hui, c'est donc Zemmour et Attali.

Que signifient toutes ces tentatives ? Qu'est-ce qu'on en retient ? Que toutes ont raté, même celles qui semblaient les plus crédibles ou les plus prometteuses. Elles nous disent simplement qu'il y a des situations d'émiettement de certains camps politiques, ou une panne de projets, qui appellent le recours illusoire à un fédérateur extérieur. Elles nous disent aussi qu'une période pré-électorale, avant que ne s'engage l'affrontement politique, est propice à des surgissements inattendus, des solutions baroques, mais tout se remet en ordre quand les choses sérieuses commencent.

François Mitterrand avait une formule qui m'a semblé longtemps mystérieuse, dont l'énigme s'est peu à peu dissipée au fur et à mesure de mes expériences et fréquentations : "en politique, un bon amateur n'égalera jamais un mauvais professionnel". Troublant, non ? C'est que la politique n'est pas un métier, mais qu'il faut quand même avoir du métier pour y réussir, et que la meilleure intention du monde est peu de chose devant celui qui, y compris médiocrement, en connaît les dessous et sait tirer des ficelles.

dimanche 27 septembre 2015

Jourdain d'hier et d'aujourd'hui



Nous nous sommes rencontrés chez Nadia, le couscous du quai Gayant, à Saint-Quentin. Alors que je le prenais en photo, une jeune femme m'a demandé : "c'est qui ?" Je lui ai répondu : "l'ancien maire de Château-Thierry". Car c'est encore ainsi qu'on le présente, sans doute sa meilleure carte de visite, qui fait qu'aujourd'hui il se retrouve tête de liste d'Europe Ecologie-Les Verts dans l'Aisne. Dominique Jourdain est-il gêné par ce rappel de son passé ? Non, il assume ses 19 ans à la municipalité, qui ont permis sa notoriété. J'ai voulu en savoir plus sur sa candidature aux élections régionales (comme je le ferai volontiers avec tous les autres candidats de gauche qui le souhaiteront).

Ma première question : pourquoi n'avoir pas fait comme Jean-Pierre Balligand, arrêter la politique, après la défaite aux municipales, le départ du PS et une vie publique bien remplie ? "Il ne me serait pas venu à l'esprit de me retirer. Et puis, il y a les sollicitations ..."

Mais pourquoi avoir quitté le Parti socialiste ? Dominique Jourdain lui reproche son clientélisme, l'absence de réflexion. Surtout, "la politique actuelle du gouvernement n'est pas la bonne". Quand a eu lieu le déclic pour lui ? "En 2009, avec Daniel Cohn-Bendit (qu'il aime beaucoup) et la fondation d'Europe-Ecologie". Dominique Jourdain a cette jolie formule : "ce n'est pas moi qui ai quitté le PS, c'est le PS qui m'a quitté". Comme souvent dans ces cas-là, l'éloignement se fait progressivement : pour l'ancien maire de Château-Thierry, dès le début des années 2000.

Jourdain d'hier, nous y revenons encore, car le parcours d'un homme s'explique par son passé. Dans les années 70, il a flirté avec l'extrême gauche et le Secours rouge (c'était la mode à l'époque), a rencontré des philosophes et des écrivains, tels que Michel Foucault et Gabriel Matzneff, s'est mêlé à la vie parisienne, dont il a gardé un côté intellectuel. Il adhère aux Amis de la Terre, les écolos de ce temps-là. En rejoignant EELV, il n'a pas beaucoup changé, il retourne à ses premières amours. Jourdain d'hier, c'est finalement Jourdain d'aujourd'hui. Il a rejoint le PS en 1981, "pour faire gagner Mitterrand".

Je le taquine : est-il encore socialiste ? Il réfléchit : "c'est quoi être socialiste aujourd'hui ? Mais je ne suis pas antisocialiste, et je peux travailler avec des socialistes". Dominique Jourdain me rappelle qu'il a activement participé, il y a dix ans, au NPS, Nouveau Parti Socialiste, un courant rénovateur mené par Montebourg, qui a disparu depuis.

Que pense-t-il des querelles chez les Verts (dont il est membre du Conseil fédéral, le Parlement du parti) ? Les départs de Placé, Rugy, Porquier, il les considère comme un épiphénomène : "ils veulent faire des Verts un autre PRG, ça ne peut pas marcher". Le procès en gauchisation, il n'y croit pas : "les adhérents ont démocratiquement choisi une ligne, qu'il faut maintenant suivre". Dominique Jourdain m'apprend que les statuts d'EELV permettent dans ses rangs l'objection de conscience : un écolo pas d'accord avec le résultat d'un vote s'abstient de militer, tout en restant dans le parti.

Mais le danger de voir le FN l'emporter, à cause de la désunion de la gauche ? Il écarte rapidement l'argument : "au premier tour, il y a des électeurs qui ne voteront jamais PS. Une liste EELV permet de lutter contre l'abstention de gauche et prépare le rassemblement pour le second tour". Dominique Jourdain estime que c'est une erreur politique de se focaliser sur la montée de l'extrême droite : "c'est s'avouer vaincu. Et puis, ce que les électeurs attendent, ce sont des réponses à leurs problèmes". Défend-t-il au moins l'alliance avec le PCF ? "C'est une possibilité et un souhait. Les rencontres ont commencé, mais il y a des éléments non négociables, dont la conduite de la liste régionale par Sandrine Rousseau". A l'heure qu'il est, je crois qu'on ne peut pas en dire beaucoup plus.

Sur l'alliance avec le PS, je reviens à la charge : avec Aubry, la situation aurait-elle été différente ? "Les choses auraient été plus faciles, la maire de Lille a une meilleure image que Saintignon chez les écolos. Mais il aurait fallu s'y prendre plus tôt. Surtout, il ne faut pas faire de politique-fiction". Je ne sens pas Dominique Jourdain foncièrement hostile à Pierre de Saintignon. Mais l'enthousiasme n'est pas là, pour le moment.

Ce qui tient à cœur Dominique Jourdain, c'est le projet régional d'EELV, adopté à l'unanimité, 50 propositions qui sont la base des négociations avec ses prochains partenaires. "La santé, l'environnement, les transports seront parmi les thèmes abordés", qu'il pense être porteurs. Son ambition, c'est de porter un véritable projet de société contre celui, xénophobe et autoritaire, du FN. Pour Dominique Jourdain, la vraie bataille va se jouer sur ce terrain-là.

Je termine notre entretien en l'interrogeant sur son adversaire de droite, Xavier Bertrand : "je ne le reconnais plus, il s'est droitisé. Avant, il était ouvert, humaniste. Quand Xavier Bertrand était secrétaire d'Etat, j'avais son numéro de portable, on s'appelaient. Plus maintenant". Hier, aujourd'hui, nous y revoilà : nous finissons par où nous avons débuté.

Hier, aujourd'hui, mais ce qui compte en politique, c'est demain. L'ancien maire de Château-Thierry me quitte pour aller ... juste à côté, au cinéma, pour participer à un débat avec les SEL et AMAP, après la projection du film "En quête de sens" (tiens, un titre qui résume bien notre conversation). Pour Dominique Jourdain comme pour tous ceux qui font de la politique, demain commence aujourd'hui.

samedi 26 septembre 2015

Où et quoi ?



J'ai participé à l'un des événements politiques de ce samedi (en vignette). Mais lequel ?

En panne d'idées



Mercredi soir, Arte nous a offert un très joli documentaire, élégant, racé, sur Roland Barthes. Il n'y a plus aujourd'hui d'intellectuels de cette envergure. La vie de la pensée s'est desséchée. On accuse les partis politiques de ne plus avoir d'idées : mais c'est toute la société qui en manque, au premier chef ceux dont c'est le métier que d'en produire.

Autrefois, le Parti socialiste, réputé pour ses débats, échangeait avec passion sur l'autogestion, les nationalisations, la décentralisation, le tiers-mondisme. Rien de tel maintenant. La France ne réfléchit plus depuis 35 ans : en mars 1980 meurt Barthes, et en avril Sartre. Une époque se terminait, qu'on n'a pas revue depuis.

Qui peut citer, de nos jours, un courant de pensée dominant, influent ? Dans les années 50, il y a eu l'existentialisme ; dans les années 60, le structuralisme. Et puis, plus rien. En 1977, les "nouveaux philosophes", Bernard-Henri Lévy en tête, ont détaché la gauche de l'hégémonie idéologique du marxisme, qui était très puissante. En 1979, la "nouvelle droite", avec Alain de Benoît, a prouvé que ce camp-là pouvait aussi penser. Mais c'était le chant du cygne d'une certaine influence intellectuelle.

Aujourd'hui, les philosophes sont un peu partout, mais aucun nom ne se dégage, ne s'impose, ne fait référence. André Comte-Sponville et Michel Onfray sont des vedettes médiatiques, intéressants, mais pas des maîtres à penser comme on en faisait jadis. Le seul courant contemporain illustre, c'est la "déconstruction", menée par Jacques Derrida, qui a triomphé sur les campus américains, pas vraiment en France. Ce qui veut tout dire ...

Il n'y a pas non plus à désespérer : comme toute chose, la vie intellectuelle connaît des hauts et des bas. 35 ans de pause dans la production d'idées, c'est peu à l'échelle du temps, et on a déjà vu ça. Et puis, si la France décline en philosophie, elle brille en littérature, donne au monde de grands écrivains, Modiano et Houellebecq par exemple, qui eux aussi pensent la société, la réalité, à leur façon. Alors, patience.

vendredi 25 septembre 2015

Valls imperator



Trois heures hier soir avec Manuel Valls, quel régal ! Le début de l'émission a été un peu poussif, puis elle a pris son envol, elle a trouvé son rythme. Première image choc (il en faut, nous sommes à la télévision) : l'ensemble du gouvernement sur le plateau, tous derrière et lui devant, comme dit la chanson. Magnifique démonstration de force et d'unité, comme il devrait en exister beaucoup plus souvent chez les socialistes chamailleurs.

L'invité, était-ce bien Manuel Valls ? A certains moments, on aurait pu croire que c'était Emmanuel Macron, tant son nom a été prononcé et son visage est apparu à l'écran. Ses adversaires auront au moins eu un mérite : avec leurs stupides polémiques, ils mettent le ministre de l'Economie sur le devant de la scène et oblignent le Premier ministre à lui renouveler, c'est encore ce qu'il a fait hier, son entier soutien. Mon Dieu qu'ils sont bêtes !

De l'intervention de Valls, je retiens sa position très claire sur le deuxième tour des régionales, où nous savons qu'il y a péril en la demeure, surtout dans notre région : TOUT faire pour empêcher l'extrême droite de s'emparer d'une région et d'en faire un terrible tremplin pour la présidentielle. Il ne l'a pas dit, mais c'est bien ça : retirer la liste socialiste, faire le choix dramatique de se priver d'élus pour ne pas offrir la région au Front national. Le dilemme est déchirant, mais entre un drame et une tragédie, il n'y a pas à hésiter : il faut repousser la tragédie. Les hommes et les forces de gauche prendraient une responsabilité énorme devant l'Histoire en donnant indirectement le Nord-Picardie aux fachos, tout ça pour conserver quelques strapontins.

Le seul point où Manuel Valls m'a le moins enthousiasmé, c'est au début, sur les migrants : 30 000 accueils en deux ans, c'est très peu. Il a beaucoup (beaucoup trop) insisté sur la maîtrise et l'organisation des réfugiés, qui vont de soi, qui ne méritent pas qu'on y insiste, sans doute pour rassurer l'électorat apeuré, mais celui-là, rien ne le convaincra, sinon lui faire admettre que les grandes migrations sont dans l'ordre du monde, que la France en a vu d'autres et qu'elle n'a rien à en craindre, que ces déplacements de population peuvent au contraire être un atout pour notre pays.

Deux séquences ont été lamentables : le reportage sur des jeunes socialistes, qui n'osent pas prononcer le nom du Premier ministre quand ils font du porte-à-porte, qui ne savent pas s'ils voteraient pour lui s'il se présentait à la présidentielle. C'est consternant. Si les jeunes socialistes eux-mêmes ne sont pas convaincus du bien-fondé de la politique du gouvernement socialiste, qui le sera ? Il y a vraiment des claques qui se perdent. Et la jeunesse n'est pas une excuse à la lâcheté.

Et puis, il y a eu le final, où un type est venu présenter à Valls deux tweets, à lire. L'un était gentil, l'autre était méchant : la vérité, c'est que les deux étaient très cons. Le Premier ministre a refusé d'entrer dans le petit jeu détestable des réseaux sociaux (qui ne sont pas des réseaux, mais des gens qui échangent médiocrement en cercle fermé ; qui ne sont pas sociaux, puisque c'est le triomphe de l'individualisme le plus affligeant). A cet instant, le tout dernier de l'émission, Manuel Valls a été grand, impérial, refusant de se couler dans l'esprit délétère du temps, de succomber à la stupidité ambiante : il a magistralement opposé l'esprit de gravité à l'esprit de dérision, de son beau visage tendu qui ne se rabaisse pas à sourire niaisement. Impérial !

jeudi 24 septembre 2015

Macron, tiens bon !



Le ministre de l'Economie est attaqué sur plusieurs fronts. Le Premier ministre lui a renouvelé son soutien. Le chef de l'Etat a mouché Aubry, hier passablement morveuse, par cette mise au point : "parfois, le silence est d'or". Dans mon précédent billet, j'avais demandé à la maire de Lille de se taire ! Il faut maintenant que le Parti affiche sa solidarité, car les manœuvres anti-Macron, qui déstabilisent toute la politique gouvernementale, ne vont pas cesser.

Gérard Filoche, de l'aile gauche, est allé jusqu'à créer un site, macron.demission.fr . Allez voir, c'est assez comique, en même temps que pathétique. Filoche taxe Macron d' "OVNI étrange". Mais lui, s'est-il au moins regardé ? Il passe le plus clair de son temps à critiquer le PS et le gouvernement. Si Macron est un OVNI, Filoche est certainement un extraterrestre, un mélenchoniste non avoué égaré dans les rangs du Parti socialiste.

En plus sérieux, il y a l'offensive d'Anne Hidalgo contre cette "réforme de société" (selon elle) que serait l'ouverture des magasins le dimanche à Paris. Il ne lui faut pas grand chose pour utiliser tout de suite les grands mots ! Elle fait toute une histoire de quoi ? Quelques artères hyper-commerciales de la capitale qui pourront travailler le dimanche, si elles le souhaitent. Pas de quoi en faire un plat ! Il y a 5 millions de chômeurs, une activité économique à la traîne et des millions de consommateurs chinois à nos portes : après ça, on voudrait interdire le travail le dimanche, dans des zones très localisées et très touristiques ? On marche sur la tête ! Dans le Parisien de ce matin, Emmanuel Macron a dû recadrer la maire de Paris.

Je ne dis pas que le ministre a raison sur tout. Sa déclaration à propos des jeunes qui auraient des rêves de milliardaires était une connerie. Mais sa ligne économique, qui est celle du gouvernement, est la bonne (je pense, entre autre, à la libéralisation du transport par autocar, alors que le transport ferroviaire et automobile sont devenus très onéreux pour les plus pauvres). Ce que je comprends, c'est que certains s'en prennent à lui afin d'attaquer indirectement, hypocritement, Hollande et Valls.

Mais je suis optimiste. Emmanuel Macron a l'avenir devant lui. Ses idées sont en phase avec la société, deux sondages viennent encore de le confirmer, y compris chez les sympathisants socialistes. L'opinion est derrière lui, avec lui. Il est la chance d'une gauche moderne, contre le socialisme nécrophage. Nous serons très attentifs à ce que dira de lui Manuel Valls, ce soir, à l'émission Des paroles et des actes, sur France 2.

mercredi 23 septembre 2015

Ras-le-bol d'Aubry !



Martine Aubry est une femme autoritaire, cassante, imbue de sa supériorité et méprisante envers nombre de ses camarades. Mais c'est sans importance : la politique n'est pas un concours de moralité, ni un classement des psychologies personnelles, mais une activité publique où seuls comptent les résultats collectifs obtenus. Le tempérament de Martine Aubry ne me gêne pas : comme le mien, il est ce qu'il est, et ce n'est pas sur lui qu'on juge une politique.

En revanche, lorsque la maire de Lille, ce matin dans sa conférence de rentrée, s'en prend brutalement à un membre du gouvernement, ce n'est pas une bonne action, c'est un mauvais exemple en direction de l'opinion. Qu'elle hurle avec les loups qui s'en prennent à Emmanuel Macron n'est pas digne de la stature qu'elle a acquise : c'est un comportement irresponsable, une faute politique. Son "Ras-le-bol de Macron !" la juge sévèrement.

Que reproche-t-elle au ministre de l'Economie ? D'abord son "arrogance". La perpétuelle donneuse de leçons ne manque pas d'air : c'est plutôt elle-même qu'elle devrait qualifier ainsi ! Macron a donné un avis assez soft, très banal, sur la nécessaire adaptation des statuts de la Fonction publique. Je conçois qu'on ne soit pas d'accord avec lui sur ce point. Mais où est "l'arrogance" ? Macron a sans doute des défauts, mais pas celui-là.

Ensuite, dans son bref réquisitoire, Martine Aubry déplore "l'ignorance" du ministre, qui ne connaitrait pas la vraie vie, rappelant qu'il a été banquier d'affaires, comme si c'était disqualifiant. Mais elle, Aubry, qui a été à la tête d'un grand groupe industriel, en quoi est-elle plus qualifiée à connaître la vraie vie des gens ? Arrêtons donc ce misérable petit jeu, démago et populiste.

Enfin, Martine Aubry assène comme une géniale trouvaille cette plate évidence : "on n'a jamais eu autant besoin des fonctionnaires". Emmanuel Macron a-t-il dit le contraire ? Non. Alors, inutile de mentir en laissant croire qu'on énonce une vérité profonde

La maire de Lille joue les grandes gueules, un rôle de composition à la portée de n'importe quel médiocre. Elle aurait mieux fait de se taire, elle qui n'a pas eu le courage d'entrer et de travailler au gouvernement, tournant ainsi le dos au rassemblement de tous les socialistes ; elle qui n'a pas eu le courage de se porter tête de liste aux élections régionales, laissant son second, Saintignon, aller au casse-pipe, au risque de voir l'extrême droite l'emporter ; elle qui a fait cocus les frondeurs et l'aile gauche du parti, en se ralliant au dernier moment à la majorité lors du récent congrès du PS. Moi aussi, à mon tour, je pourrais m'exclamer facilement : Ras-le-bol d'Aubry !

Mais je préfère laisser le dernier mot au président du groupe socialiste à l'Assemblée, Bruno Le Roux, ce matin sur iTélé : "un vrai socialiste est quelqu'un qui défend Emmanuel Macron". Voilà un critère pertinent qui permet de classer Martine Aubry.

mardi 22 septembre 2015

Appel au peuple de gauche



De sa lointaine formation lambertiste, dont il garde quelques beaux restes, Jean-Christophe Cambadélis a hérité un savoir-faire tactique hors pair, dont il fait encore usage à la tête du Parti socialiste. Dans ce domaine-là, je lui fais une entière confiance : il a de l'expérience et quelques résultats à son actif. Entre camarades court une blague instructive à son sujet : Camba, c'est le gars qui vous réunit autour d'une table pour vous mettre d'accord, qui ferme la salle et garde la clé dans sa poche.

L'idée d'organiser un référendum pour ou contre le rassemblement de la gauche aux régionales, c'est du Camba pur jus, très malin. Il a complètement raison : au train où c'est parti, l'échec est assuré, au premier chef dans notre région nordiste. La désunion ne pardonne pas en politique. Là, ce n'est même plus la désunion, mais l'éclatement. Cambadélis veut mettre chacun devant ses responsabilités : c'est bien joué. Parce que quand Le Pen sera devenue présidente de région, il sera trop tard. Mais il n'est pas trop tard. Ce référendum proposé par le premier secrétaire du PS, c'est ce "nécessaire sursaut" que je réclamais dans mon billet du 16 septembre. Vous voyez une autre solution ?

Ce ne sera pas la reprise des primaires citoyennes, évidemment, mais il y aura quand même un peu de ça. Les partis de gauche crèvent de ces cercles militants qui ne représentent plus personne mais décident pourtant des choix politiques. Quand vous pensez que la stratégie autonome des écologistes a été adoptée par 274 personnes, sur les 6 millions d'habitants de la nouvelle grande région (voir mon billet du 12 septembre). Ce n'est plus de la démocratie, c'est un suffrage très sélectif, comme autrefois avec le scrutin censitaire ! Je n'accable pas nos amis Verts : bien des sections socialistes sont moribondes. Il nous faut désormais, de plus en plus, comme dans le système des primaires, passer par dessus les adhérents pour s'adresser directement au peuple de gauche et mettre entre ses mains le choix des grandes orientations.

Est-ce que l'initiative de Cambadélis va inverser le cours dramatique des choses ? Je n'en sais rien, ce n'est pas certain. En politique, il est difficile de contrarier une trajectoire : nous sommes à moins de trois mois du scrutin des régionales. Mais si le peuple de gauche saisissait l'occasion de ce référendum pour se mobiliser et envoyer un message à des appareils largement coupés de la population, alors oui, quelque chose pourrait peut-être changer. De toute façon, il n'y a pas d'autre voie.

lundi 21 septembre 2015

L'homme à abattre



Emmanuel Macron fait de nouveau parler de lui. On se demande bien pourquoi. A-t-il une nouvelle réforme en vue ? Un projet à soumettre ? Non, ce sont des propos qu'on rapporte, assez insignifiants : il souhaite une réflexion sur le statut de fonctionnaires et son adaptation. Rien de plus, pas de scandale, aucune menace, ni même une idée précise. Le chef du gouvernement a d'ailleurs réitéré son soutien à son ministre de l'Economie et des Finances. Alors, d'où vient le problème ?

D'abord, ce n'est pas nouveau, la polémique se déclenche à chaque fois de la même façon : quelques paroles anodines, sur l'illettrisme chez les salariés, sur la place du travail dans notre économie, aujourd'hui sur la Fonction publique, et c'est la médiatisation immédiate, les commentaires des adversaires, l'indignation généralisée, avec une obsession latente : faire de cette tête de gentil un monstre caché, un traître à la gauche, un agent de la droite au sein du gouvernement. C'est toute la rhétorique stalinienne qui est recyclée au goût du jour.

A qui profite le crime, puisque Emmanuel Macron semble l'homme à abattre ? Sa popularité dans l'opinion publique manifestement gêne. S'il ne représentait rien, on n'en parlerait même pas. Même si ses avis n'engagent que lui et ne tirent pas vraiment à conséquence, ils visent juste, touchent des sujets sensibles, expriment la tendance de cette social-démocratie moderne qu'il incarne si bien. C'est là qu'il devient une cible.

La gauche du Parti socialiste ne le supporte pas et veut sa peau, c'est évident. Elle voit en lui la réalisation parfaite de ce qu'elle déteste et qui n'apparait pas si clairement, si nettement chez François Hollande ou même Manuel Valls. Macron est un trentenaire qui n'a pas la langue de bois, qui n'a pas besoin de prendre des gants pour s'exprimer (après, on est d'accord ou pas, mais c'est le débat).

Si le jeune ministre n'avait que des ennemis à gauche, l'affaire n'irait pas si loin. Mais toute une partie de la droite ne peut que s'inquiéter de la montée de ce social-démocrate qui affronte les problèmes à bras-le-corps. La droite aime les socialistes quand ils sont dans le formol, inoffensif. Macron est dangereux pour la suite.

L'homme à abattre se laissera-t-il abattre ? Il n'a pas l'expérience politique des vieux crocodiles, mais en a-t-il besoin pour survivre au marécage ? Je ne pense pas. Le gouvernement est avec lui, une partie de l'opinion est derrière lui et il a le temps, suprême allié, pour lui. A partir de là, il peut durer longtemps et aller loin. C'est ce que je lui souhaite.

Un signe de réconfort, une confirmation pour Emmanuel Macron : la victoire en Grèce, une nouvelle fois, d'une social-démocratie d'un nouveau genre, d'un réformisme renouvelé, qui a su se débarrasser de son aile gauche, de ses frondeurs, l'Union populaire, qui n'a même pas dépassé les 3%. En France, c'est le score cumulé que ferait Montebourg-Hamon-Lienemann, s'ils se présentaient à une grande élection nationale. Ils tiennent un peu, ont un semblant d'existence devant un congrès restreint de militants, mais face au peuple, ce serait la claque, comme on l'a vue ce dimanche en Grèce. Macron-Tsipras, même combat, même adversaires, mais toujours debout, pas abattus !

samedi 19 septembre 2015

Bourgeois, malheureux et bon



Je vous recommande la lecture passionnante du dernier ouvrage de Raphaëlle Bacqué, journaliste au Monde : "Richie", sur la vie de Richard Descoings, directeur de Sciences-po, disparu en 2012, à 53 ans (chez Grasset, avril 2015, 18 euros). Mine de rien, c'est un livre très politique, la psychologie et le parcours d'un jeune bourgeois dans les arcanes du pouvoir. Du bourgeois, Descoings a le conformisme : à l'ENA, on ne le remarque pas. Du bourgeois, il a la vie cachée : homosexuel, qui finira pas se marier, parce que le bourgeois sait qu'il faut cultiver les apparences, même si personne n'est dupe.

Richard Descoings est en quête de pouvoir : après les écoles qui embourgeoisent, il passe au Conseil d'Etat, entre dans un cabinet ministériel, rêve d'un portefeuille, mais le bourgeois ne réussit pas tout : sous Sarkozy, il devra se contenter d'être simple chargé de mission. Mais sa grande réussite de bourgeois, c'est son accession à la présidence de Sciences-po, la pouponnière des gens de sa classe et de ceux qui veulent en être. Pouvoir, réussite, notoriété, la vie bourgeoise va aussi avec l'argent : à la tête de la prestigieuse institution, il nomme son épouse directrice-adjointe et verse des rémunérations dont le montant fait polémique.

Richard Descoings a vécu en bourgeois et est mort en bourgeois, l'Eglise ouvrant les portes de Saint-Sulpice pour les obsèques de ce débauché, rattrapé par son destin dans une chambre de Manhattan, après une nuit d'amour avec deux jeunes hommes. Un peu comme sa fameuse recrue de Sciences-po, dans un autre genre et en moins tragique : DSK.

Richard Descoings était bourgeois, mais malheureux : passant des heures sur Facebook, comme un ado en mal d'amour ; perdu dans la drogue, l'alcool, le sexe ; tentant de mettre fin à ses jours en 2002. Surtout, Descoings, tout bourgeois qu'il était et les tares qui vont avec, était quelqu'un de bien : travaillant bénévolement pour l'association AIDES dans les années 80, ouvrant Sciences-po aux élèves des milieux défavorisés, donnant à l'école une dimension internationale qu'elle n'avait pas avant lui. Pour tout cela, Richard n'aura pas vécu inutilement.


Pas de billet dimanche

vendredi 18 septembre 2015

Letort épate la galerie





Lancement des journées du patrimoine, ce soir, à la Galerie Saint-Jacques, qui, pour l'occasion, a fait peau neuve. Bernard Delaire, conseiller municipal délégué au Patrimoine culturel et historique, a présenté le programme (vignette 2), devant un public nombreux (vignette 3). La nouvelle galerie Saint-Jacques accueille l'exposition de Paul Letort, jeune Saint-Quentinois en école d'architecture : "Quand l'art Déco révèle Saint-Quentin" (vignette 1). La vedette de l'expo, c'est la maquette des anciens magasins des Nouvelles Galeries, que Letort a pris le temps de commenter, nous faisant ainsi revivre les Années Folles (vignette 4).

jeudi 17 septembre 2015

La gauche au travail



Le détail du sondage (voir le billet d'hier) paru ce matin dans la presse locale ne doit pas leurrer ni désespérer. D'abord, les incertitudes sont grandes et la situation peut évoluer. Surtout, certains écarts sont si faibles qu'il est difficile de faire des pronostics. Enfin, le PS, malgré les apparences, ne s'en tire pas si mal : 18% au premier tour, étant donnée la situation, on pouvait s'attendre à pire. Et puis, ce 32% au second tour a même quelque chose d'inespéré.

Je ne vous dis pas que je suis optimiste : je ne le suis jamais en politique. Mais je relativise. Il est certain que la gauche ne peut pas rester en l'état, qui la conduit doucement à la défaite. Il lui faut réagir, je crois que c'est possible. Une candidature Aubry, c'est fini, et l'union avec les Verts a été enterrée par eux-mêmes samedi dernier. Il faut aller chercher ailleurs. Mais quoi ? Je vois un espoir de rassemblement entre les écolos et les communistes. Selon qu'ils s'allient ou non avec Mélenchon, ils font à eux deux entre 10 et 19%. Ils ont intérêt à faire liste commune, ne serait-ce que pour des raisons financières. Politiquement, ils sont sur des lignes assez proches.

Mais en quoi ce rapprochement aiderait-il la gauche ? L'union n'étant pas possible entre les uns (PS-EELV), autant qu'elle se réalise entre les autres (EELV et Front de gauche). Au final, c'est l'ensemble de la gauche qui en profitera. Je préfère une gauche qui se porte bien, même au détriment du PS, qu'une gauche qui se porte mal en éclatant en mille morceaux. Au second tour, les positions fortes des uns et des autres encourageront à l'union. C'est la faiblesse qui entraîne les divisions. Ce qui compte, ce n'est pas l'addition des résultats au soir du premier tour, c'est la dynamique qui se crée dès ce moment-là et qui conduit à la victoire. Si un renforcement de la gauche de la gauche donne une impulsion et un enthousiasme, tant mieux ! Tout ce qui est bon à gauche est bon pour toute la gauche, en n'oubliant jamais que nous sommes dans le viseur du Front national.

Cette élection régionale est aussi une élection départementale. C'est le terrain qui va faire la différence, c'est là où les écarts, dans les prochaines semaines, vont se creuser ou se resserrer. Chez nous, il faut à l'évidence une gauche moins discrète et plus active, qui corrige sa mauvaise image. Le Courrier picard titrait lundi : "Et si la gauche se mettait au travail". Je remarque l'absence de point d'interrogation : ce n'est pas un doute qui est émis, c'est plutôt un conditionnel. Oui, une gauche au travail, présente et visible, arrangeait bien des choses. Il ne coûte rien d'en faire le vœu. Si, par malheur, l'extrême droite l'emportait, il serait trop tard.

mercredi 16 septembre 2015

Le nécessaire sursaut



Un nouveau sondage, à paraître demain dans la presse régionale, donne l'extrême droite vainqueur au second tour des élections régionales dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie. C'est évidemment effrayant, et un nécessaire sursaut doit avoir lieu à gauche. D'abord parce que tout n'est pas perdu, loin de là : l'écart entre les listes n'est pas si grand, et les deux mois et demi de campagne qui restent peuvent rattraper le retard, si l'énergie et le dynamisme sont là.

On a beaucoup déploré le manque de notoriété de la tête de liste socialiste, Pierre de Saintignon. Ce n'est pas le problème. Une notoriété peut se fabriquer, et très vite, pourvu qu'on le veuille. Non, je crois que la difficulté, surmontable, est ailleurs : Saintignon a été, toute sa vie politique, un n°2, un fidèle lieutenant, un brillant second. Il lui faut maintenant nous montrer qu'il est un chef, avec la niaque indispensable qui va avec. Sur les photos, il est trop en retrait, on ne sent pas le guerrier. Excusez cette image militaire, mais elle me semble appropriée pour qualifier un leader dans un difficile combat.

A défaut d'être la candidate, Martine Aubry devrait s'investir beaucoup plus dans la campagne. C'est elle qui peut contribuer à faire bouger les lignes. Et puis, il y a cet éternel problème : la communication. Pour ce que j'en vois, Saintignon n'est pas vraiment au top dans ce domaine. On ne peut pas lui reprocher, il n'est pas le seul, il y a même chez de nombreux socialistes un problème quasi culturel dans leurs rapports aux médias. Mais face à Marine Le Pen et Xavier Bertrand, il n'est pas possible de négliger cet aspect-là, qui est purement technique, qui pourrait donc être réglé, si Saintignon sait s'entourer.

Enfin, il y a la question de l'union : la gauche patine parce qu'elle est dispersée. On ne peut forcer personne à rejoindre les socialistes, et il ne sert à rien de déplorer que les Verts fassent cavalier seul (je ne suis pas sûr que cette stratégie leur soit au final profitable). Mais ce qui est possible, c'est que les listes socialistes soient ouvertes, qu'elles impliquent la société civile et ne se contentent pas de puiser dans le vivier restreint et non représentatif des socialistes d'appareil.

Il faudra, demain, analyser de près le sondage, être attentif aux réactions politiques qu'il va susciter. Mais l'essentiel, pour la gauche, demeure de croire en la victoire et de mobiliser toutes ses forces dans cet objectif.

mardi 15 septembre 2015

Fusion et confusion



On ne devrait pas laisser s'exprimer un ministre sous anonymat. Un homme public doit assumer une parole publique. Le off n'est pas une bonne pratique. Nous l'avons encore vérifié en ce début de semaine, où un membre du gouvernement aurait préconisé une fusion des listes de gauche et de droite au second tour des élections régionales, sous certaines modalités techniques, afin de priver le Front national d'une majorité. L'intention est bonne : il faut en effet tout faire pour mettre en échec le FN. Mais la solution proposée n'est pas politiquement défendable : elle brouille le jeu de la démocratie, rend peu visible le choix des électeurs.

En revanche, je suis, depuis la catastrophe électorale de 2002, un chaud partisan de la stratégie de front républicain, qui a la clarté et la cohérence pour elle, dans le respect des votes des électeurs : au second tour, soutenir le candidat républicain arrivé en tête, qu'il soit de gauche et de droite, afin de faire barrage au Front national, mais sans aucune combinaison préalable qui tendrait à un partage des places entre les partis. La fusion, c'est la confusion.

Je crois que c'est, chez nous, ce qu'a voulu dire Michel Potelet, président du groupe de gauche au Conseil départemental de l'Aisne, en manifestant son soutien à Xavier Bertrand dans un second tour des régionales, afin de faire battre Marine Le Pen. Mais la formulation a été si maladroite qu'elle laissait penser à un ralliement pur et simple dès le premier tour, ce que l'intéressé a démenti à la suite du pataquès qu'il a déclenché. Moi aussi, comme je l'ai toujours fait jusqu'à maintenant, entre droite et extrême droite, pas d'hésitation : je voterai Bertrand, sans états d'âme.

Le fond du problème, c'est celui des alliances du PS, que Jean-Christophe Cambadélis a parfaitement analysé dans une lettre envoyée hier aux adhérents. Il formule l'idée d'un rassemblement de la gauche, sous le labelle de l'alliance populaire. Il y a nécessité : La dispersion, c'est la disparition, comme l'a très justement rappelé François Hollande. La décision des Verts de notre grande région de jouer l'autonomie et de se rapprocher du Parti de gauche en est une préoccupante illustration.

A long terme, il faudra bien que le parti socialiste s'interroge sur une alliance avec les centristes. Quant à une solution de grande coalition, comme en Allemagne entre la CDU et le SPD, nous n'y sommes culturellement pas prêts, et les institutions ne le favorisent pas.

La question de l'union va encore plus loin : elle touche même l'intérieur du parti socialiste. Samir Heddar, avec lequel je suis le plus souvent d'accord, a bien cerné le problème dans son éditorial de L'Aisne nouvelle de samedi dernier : une organisation qui fait cohabiter en son sein Emmanuel Macron et Benoît Hamon, qui sont sur deux lignes économiques complètement différentes, a du mal à être crédible (et je ne parle même pas de Lienemann et Filoche, qui sont carrément hors du PS, tout en y demeurant statutairement). Cette question-là, je ne vois pas comment elle peut être collectivement tranchée.

lundi 14 septembre 2015

Un ministère de l'Autorité ?



Je reconnais bien volontiers à Xavier Bertrand le mérite de lancer des idées, de mener une campagne régionale dynamique et de construire au sein de son parti un courant original, le gaullisme social. Mais, en tant que socialiste, je suis rarement d'accord avec ses propositions, dont la dernière en date, créer un ministère de l'Autorité. Pour 6 raisons principales :

1- Le fait que l'opinion soit demandeuse n'incline pas à la suivre. Il faut éclairer l'opinion, pas se soumettre à ses désirs, qui ne sont pas forcément clairs, ni légitimes. La démocratie, c'est l'élection, pas l'opinion !

2- En règle générale, je crois qu'il faut respecter les divisions gouvernementales traditionnelles, qui ont leurs raisons d'être, qui ont fait leurs preuves depuis très longtemps. Un ministère de l'Autorité serait tout aussi fantaisiste que le ministère du Temps libre en 1981 ou que le ministère de l'Identité nationale en 2007.

3- La notion d'autorité est interministérielle. Pourquoi la réduire à la Justice et à l'Intérieur ? Si on considère que l'autorité est un problème politique essentiel, il concerne tout autant le ministère de l'Education nationale par exemple, puisque la perte d'autorité des enseignants serait elle aussi à considérer. La vérité, c'est que c'est tout le gouvernement et ses ministères qui sont concernés par l'autorité.

4- Que notre société rencontre des difficultés par rapport à l'autorité, je n'en disconviens pas. Mais ce n'est pas une raison pour lui dédier un ministère spécifique, car il y aurait alors beaucoup d'autres sujets de crise majeurs qui mériteraient, si l'on peut dire, un tel honneur. Surtout, je crois que l'autorité est une notion idéologique, discutable, parfois polémique. Un ministère est une administration en charge de problèmes concrets : le logement, la santé, le travail, le transport, etc. L'autorité n'en fait pas partie, parce que la question est plus théorique que politique.

5- Ce qui m'embête le plus dans la proposition de Xavier Bertrand, c'est qu'elle confond la loi et son application, l'exercice libéral de la justice et la fonction répressive, le judiciaire et l'exécutif. Cette confusion est problématique du point de vue du principe républicain. On ne peut pas identifier la justice et sa nécessaire bienveillance avec la police et son indispensable fermeté.

6- Contrairement à ce que croit Xavier Bertrand, le regroupement des deux ministères ne renforcerait pas le principe d'autorité, son adjonction à la Justice lui faisant perdre sa spécificité. Il faut que le ministre de l'Intérieur, au nom même de l'autorité, demeure le "premier flic de France", comme on a coutume à l'appeler, ce qu'il ne pourra plus être, ou moins être, s'il est aussi Garde des Sceaux.

dimanche 13 septembre 2015

A l'épreuve de la crise



L'été aura été encadré par deux événements politiques majeurs, deux crises européennes et internationales : la faillite économique grecque, le mouvement des réfugiés du proche orient. Dans les deux cas, la classe politique française a été mise à l'épreuve : c'est dans les difficultés que les forces en présence se révèlent.

François Hollande a été très bien dans l'affaire de la Grèce, devançant l'Allemagne. Dans l'affaire des réfugiés, c'est le contraire : il aura été en deca du défi à affronter. Son refus des quotas, puis son chiffre des 24 000 sur 2 ans, étaient insuffisants. A droite, j'ai surtout apprécié la position de Jean-Pierre Raffarin, clairvoyant depuis longtemps sur le sujet des migrants et leur accueil par les municipalités.

Et puis, il y a tous ces élus de base, maires de petites et moyennes communes, qu'on n'ose pas critiquer parce que notre société vénère désormais la proximité et ne dénonce que la classe politique d'en haut. Mais ces élus d'en bas, sans jeu de mots, ne sont pas toujours à la hauteur : quand ils ne sont pas capables d'organiser la réforme des rythmes scolaires, ne semblent pouvoir rien faire sans l'aide de l'Etat, ne savent pas tranchés parmi des subventions généreusement distribuées au temps des vaches grasses, comment voulez-vous qu'ils aient l'audace et la pertinence de préparer l'accueil de familles de réfugiés ? C'est surtout la frousse électorale de l'extrême droite qui les tétanise (la remarque et le reproche ne valent évidemment que pour un petit nombre d'entre eux).

A droite, Nicolas Sarkozy a joué dans son registre habituel : montrer qu'il a des idées, même quand elles sont mauvaises ; tenter de récupérer à son profit l'électorat de la droite dure. J'ai trouvé ses trois propositions extravagantes, mais conformes au personnage et à ses visées :

D'abord, il y a eu cette distinction entre réfugiés politiques et migrants économiques. Elle est théoriquement vraie, mais la politique d'urgence ne consiste pas à donner des définitions et à faire des tris : on ne va pas faire entrer les uns et rejeter à la mer les autres. Qu'il soit chassé par la guerre, la misère ou la dictature, un migrant est un migrant.

Ensuite, Nicolas Sarkozy a proposé qu'on installe des centres de rétention aux frontières de l'Europe, dans des pays qui pourraient séparer le bon grain de l'ivraie, les migrants à prendre et les migrants à laisser. Et ces derniers, on en fait quoi : retour en enfer ? Surtout, comment imaginer d'imposer de telles structures à des pays extra-européens ?

Enfin, dernière idée en date de l'ancien chef de l'Etat, concevoir un nouveau statut, celui de réfugié de guerre ... valable durant la durée de la guerre. C'est sans doute médiatiquement astucieux, mais juridiquement douteux : pourquoi rajouter un statut à un statut ? Celui de réfugié politique correspond à la situation.

Je n'en veux pas au chef des Républicains de faire des propositions, mais de courir après un électorat qu'il ne rattrapera jamais, parce que celui-ci est xénophobe et préfèrera toujours plus, sur ce terrain comme sur d'autres, les néo-fachos du FN. Ces derniers ont une fois de plus montré leur vrai visage, à travers le discours violent de Marine Le Pen et le bulletin municipal de Robert Ménard. Plus que jamais, notre accueil des réfugiés doit se doubler d'une lutte incessante contre l'extrême droite.

samedi 12 septembre 2015

Les Verts sans les socialistes



Après deux heures de débat cet après-midi à Lille, les adhérents d'Europe Ecologie Les Verts (EELV)de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie ont donc tranché : ils ne feront pas liste commune avec les socialistes, lors du premier tour des élections régionales, en décembre prochain. Ce choix stratégique et politique est déterminant, dans une région où l'extrême droite est très menaçante et la droite conduite par le dynamique Xavier Bertrand.

Les résultats du vote sont sans appel : sur 375 participants, la motion A (alliance de toute la gauche dès le 1er tour)a recueilli 94 voix, la motion B (conduite par la tête de liste Sandrine Rousseau, favorable à une alliance avec le Parti de gauche, Nouvelle Donne, le Mouvement écologiste indépendant, etc. ) a rassemblé 274 voix. Il y a eu seulement 7 votes nuls ou blancs.

La surprise (tout vote contenant un élément de surprise), c'est la forte majorité en faveur d'une non alliance avec le PS, 75% des votants. On pouvait s'attendre à moins, étant donnée la situation régionale et le danger Front national. Notons que le rapprochement des Verts avec le PCF n'a pas été pour le moment retenu, le communiste Fabien Roussel menant sa propre liste. Mais les négociations entre les deux formations restent possibles d'ici le premier tour.

C'est donc une gauche très divisée, comme c'était à craindre, qui va se présenter devant les électeurs : PS, PCF, Verts et extrême gauche (Lutte ouvrière). Au second tour, EELV mènera des négociations pour le rassemblement. A condition qu'il y ait un second tour ...

Qu'est-ce qui a décidé les Verts à un tel choix ? Tactiquement, l'objectif est de récupérer les déçus de la gauche. Politiquement, il s'agit de défendre leur propre projet, la transition écologique et sociale. Les écologistes estiment que les accords programmatiques de 2012 avec le PS, à la présidentielle et aux législatives, n'ont pas été respectés.

La tête de liste socialiste, Pierre de Saintignon, a eu des paroles sympathiques à leur égard, mais les négociations n'ont pas abouti. Et puis, il y a ce que les Verts estiment être une contradiction : un candidat socialiste, invité dans leurs ateliers, qui tient un discours très à gauche, mais qui signe pour la motion majoritaire, social-démocrate et pro-gouvernementale, au congrès du PS.

Cet après-midi, à Lille, la députée Barbara Pompili a défendu en vain la motion A, mais n'a manifesté aucune velléité de rejoindre les dissidents pro-socialistes du parti, Jean-Vincent Placé et François de Rugy. Prochaine étape pour les Verts : compléter leurs listes départementales, dont celle de l'Aisne, qui sera menée par l'ancien maire PS de Château-Thierry, Dominique Jourdain.

vendredi 11 septembre 2015

Faire payer les pauvres ?



Dans les années 70, le communiste Georges Marchais demandait à "faire payer les riches". Je trouvais ça un peu démago. En même temps, j'ai toujours adhéré au principe républicain de l'impôt sur le revenu : plus on gagne d'argent, plus on doit payer d'impôt. Aujourd'hui, jusqu'à la gauche, c'est le contraire qui est défendu : les plus modestes, qui depuis toujours bénéficient de l'exonération, devraient maintenant être imposés ! Cette réaction est déclenchée par la décision du gouvernement de sortir l'an prochain un million de foyers de l'imposition fiscale, que j'approuve entièrement : redonner du pouvoir d'achat aux classes populaires, quel homme de gauche pourrait être contre, quand on sait que ces mêmes classes sont les premières victimes de la crise, frappées par le chômage ?

J'entends dire que cette imposition de ceux qui ne le sont pas serait purement symbolique, une somme minime. C'est ridicule : le système fiscal n'est pas là pour générer des symboles, mais de la justice sociale. Or, il n'est pas juste que les plus modestes, qui souffrent déjà de nombreuses difficultés, supportent la pression fiscale, même légère. Et puis, la perception de cet impôt "symbolique" va coûter beaucoup plus chère que ses recettes. A l'injustice vont se joindre l'inefficacité et le gaspillage !

Autre argument : il y aurait une fierté et une dignité à payer l'impôt, dont les plus pauvres seraient jusqu'à présent privés. Ah bon ? Quand j'étais smicard, avant de devenir enseignant, je ne payais pas d'impôt, sans me sentir indigne. Et depuis que j'en paie, je ne me sens pas particulièrement fier. Alors, laissons tomber ces faux raisonnements psychologiques et moraux. Je me fais une trop haute idée de ce que sont la fierté et la dignité humaine pour les placer dans une déclaration fiscale.

Plus sérieux semble le lien qui est établi entre l'impôt et la citoyenneté : ne serait vraiment citoyen que celui qui paie des impôts. Mais là aussi, ma conscience de gauche est heurtée, car l'idée supposerait que plus on paie d'impôt, plus on est citoyen, et inversement ! Non, je conteste un tel rapport. En revanche, je crois ferme que la citoyenneté se définit par le droit de vote, et je regrette vivement que 5 millions de nos compatriotes, d'origine immigrée, en soient privés. Je crois aussi que la citoyenneté, et la dignité qui va avec, consiste à bénéficier d'un travail, ce dont 5 millions de nos concitoyens sont privés. Pour eux, j'aimerais vraiment qu'on fasse quelque chose, au lieu de vouloir les assujettir à l'impôt.

Vous vous souvenez de l'impôt du sang ? C'était le service militaire. Lui aussi était censé définir la citoyenneté. Mais sa disparition n'a pas été un drame pour la République, parce que la citoyenneté se définit de bien d'autres façons. Il en va de même pour l'impôt sur le revenu : que moins d'un Français sur deux le paie ne sapera pas les bases de la République !

Ceci dit, à tous ceux qui veulent que chaque Français paie l'impôt, je réponds très simplement : vous avez raison, moi aussi, je veux bien. Mais alors, donnez à chacun un travail et un salaire correct, ainsi tous seront assujettis à l'impôt ! En dehors de cette perspective, je me refuse à ce que les classes populaires, une fois de plus, fassent les frais de la crise.

jeudi 10 septembre 2015

Juppé ne sera pas président



Le Point a beau publier cette semaine un sondage donnant Alain Juppé vainqueur aux primaires de la droite, je ne crois pas du tout en sa capacité à devenir président de la République. Pourtant, ces derniers mois, je le pensais. Et puis, son profil d'homme de droite modéré me le rend sympathique, par comparaison avec Fillon et Sarkozy. Qu'est-ce qui fait que j'ai changé brusquement ? Mon côté inspecteur Columbo : un petit détail me chiffonne, et je me mets à soupçonner ...

Ce sont quelques mots prononcés dans Le Monde du 26 août 2015 qui m'ont fait douter du statut présidentiable d'Alain Juppé : "oui, j'ai envie d'être aimé, n'est-ce pas le cas de tout le monde ?" Patatras ! Je me suis dit : ce gars-là ne deviendra jamais président de la République. Pourquoi ? Bien sûr, il a raison : tout le monde a envie d'être aimé. Mais justement : un chef d'Etat n'est pas tout le monde !

En politique, vouloir être aimé est au pire une démagogie, au mieux une faiblesse. Ce sont les enfants qui veulent être aimés, pas les grands. Sur la scène publique, il y a beaucoup d'enfants, mais rares sont les grands. Pour être aimé, il faut plaire, séduire, faire rire : ce n'est pas ce qu'on attend d'un vrai chef ; on veut qu'il travaille, qu'il agisse, qu'il règle nos problèmes. L'un peut aller avec l'autre ? Non, précisément : gouverner, c'est déplaire.

Comme tous les gens qui veulent être aimés, Alain Juppé a un problème, ou plutôt deux, exactement. Le premier, c'est d'effacer le traumatisme de 1995, lorsque la France entière manifestait contre lui alors qu'il était Premier ministre depuis quelques mois seulement. "Droit dans mes bottes", disait-il : 20 ans après, la blessure est toujours là, il n'assume pas, il veut nous faire oublier ses bottes.

Son second problème, c'est qu'il doit sa popularité actuelle aux électeurs de centre gauche, un peu dans mon genre, qu'il essaie de charmer, pour doubler sur ce côté-là Nicolas Sarkozy. Mais le jour venu, cet électorat, comme moi, reviendra vers son seul et unique candidat, quel que soit son nom : le candidat socialiste. L'amour de Juppé est condamné à être déçu.

En politique, il ne doit pas être question de sentiments, mais de raison, de réflexion, de volonté. Et les rares sentiments qui s'introduisent en politique sont plus à craindre qu'à espérer : la folle ambition, la haine tenace, l'esprit de revanche, le mépris hautain ... merci bien ! Etre aimé, non ; aimer, peut-être, mais pas "aimer les gens", ça ne veut rien dire : aimer la France, aimer la République, aimer la liberté, aimer la vérité et aussi, en ce qui me concerne, aimer le socialisme, oui, sans doute.



PS : à la suite du billet d'hier, Olivier Lazo, président d'honneur de la LDH de l'Aisne, a repéré une possible ambiguïté. La photo du petit Syrien l'a évidement choqué, mais sa publication lui a semblé nécessaire pour éveiller les consciences. Je crois que ma phrase était claire, mais les choses qui vont sans dire vont encore mieux en les redisant.

mercredi 9 septembre 2015

La LDH 02 lance un appel



Depuis le début de la crise des migrants, aucune initiative publique ne s'est déroulée dans l'Aisne. La Ligue des Droits de l'Homme (LDH) pourrait bien mettre un terme à cette carence. Son président d'honneur, Olivier Lazo (en vignette), a envoyé un courrier aux associations et aux cultes, en vue d'un rassemblement citoyen de soutien aux réfugiés, le samedi 19 septembre, à 15h00, place des Droits de l'Homme, à Laon. Les partis et les syndicats qui souhaitent s'associer seront les bienvenus.

L'action se veut symbolique, autour des thèmes de l'humanisme et de la fraternité. La LDH espère mobiliser une centaine de personnes. Pour le moment, l'idée est au stade du projet. Tout dépendra des réponses à l'appel lancé par la plus ancienne association de défense des droits de l'homme en France. La crainte, c'est de voir une opinion peu réceptive, à cause du fort poids électoral de l'extrême droite dans le département.

Olivier Lazo n'a pas du tout été choqué par la publication de la photo du petit Syrien décédé sur une plage : "si cela peut éveiller les consciences ...". En revanche, il est hostile aux quotas, trop limitatifs. Est-ce qu'il faut accueillir tout le monde ? "Non, bien sûr, mais selon nos capacités d'hébergement". Le chiffre cité par François Hollande (24 000 réfugiés sur deux ans) lui semble bas : "ça fait 1 000 personnes par mois, 10 par département, ce n'est pas grand chose, ça ne se verra même pas". C'est pourquoi le président d'honneur de la LDH de l'Aisne pense qu'Angela Merkel a été plus à la hauteur que François Hollande dans cette affaire.

Comment juge-t-il le refus de Xavier Bertrand d'accepter des réfugiés à Saint-Quentin ? "Je ne comprends pas sa position ; c'est pourtant un homme humaniste et fraternel". Et lui, Olivier Lazo, serait-il prêt à prendre chez lui un réfugié ? "Il y a une dizaine d'années, j'ai hébergé pendant trois mois un précaire dans mon F3, et je l'ai aidé dans ses démarches administratives". Olivier Lazo, défenseur des droits de l'homme jusqu'au bout ...

mardi 8 septembre 2015

La fin de Claire Chazal



Tout ce qui est médiatique est politique. A ce titre, le départ de Claire Chazal est un événement. Présider pendant plus de 20 ans à la grand-messe du journal télévisé sur TF1, regardé par des millions de Français, c'est quelque chose. Mine de rien, c'est un véritable pouvoir, donc quelque chose de politique. Pourtant, personnellement, la disparition de Chazal de nos écrans me laisse indifférent : je ne la regardais pas, parce que je ne l'aimais pas. Mais je suis bien obligé de constater sa popularité et de tenter de la comprendre.

Ce que je n'aime pas chez elle, c'est qu'elle est en quelque sorte une anti-journaliste : pas de curiosité, pas d'enquête et surtout pas de critique dans sa pratique du métier. Claire Chazal se contente de présenter l'actualité, passivement, comme on énumère les trains qui entrent et qui partent d'une gare. Aucun style, rien de personnel, pas d'originalité. Ni journaliste, ni même animatrice : présentatrice, au sens le plus faible du terme. Une speakerine des informations, si l'on peut dire. Gicquel, Mourousi, pour prendre des exemples un peu anciens mais sur TF1, avaient quand même une autre allure.

Ce qui m'irrite le plus chez Claire Chazal, ce qui ferait hurler un journaliste anglo-saxon, c'est sa subordination au pouvoir, quelle que soit d'ailleurs sa couleur. La voir interroger un puissant de ce monde, c'est un grand moment, un exercice presque comique : la présentatrice devient potiche, faire-valoir, brosse à reluire. Ses audaces sont minimes et dérisoires. Elle est totalement transparente, inexistante devant les autorités. Même quand il n'y a personne à interviewer, qu'elle est devant nous, face à la caméra, nous regardant à travers l'écran, il y a quelque chose de vide, d'absent, d'immobile chez cette femme. Son conformisme transpire sur son physique. On la sent inintéressante, lisse, modulable. C'est une statue qui bouge ou une poupée qui parle.

C'est bien beau de ressentir tout ça, mais comment se fait-il qu'autour de moi, plein de gens aiment Claire Chazal, que moi je n'apprécie pas du tout ? Il doit bien y avoir une explication à cette mystérieuse popularité. Je ne crois pas que la plupart des gens perçoivent en elle autre chose que moi. Sauf que ce qui est à mes yeux négatif et répulsif est pour eux positif et attrayant. Chazal, dans sa vacuité et son insignifiance, nous protège de la fureur et du bruit de l'actualité. Elle fait un efficace édredon entre ce monde plein de sang et de larmes et nous-mêmes. Voilà pourquoi elle est populaire, que son départ va être vécu par beaucoup comme un drame : Chazal rassure, tranquillise, anesthésie. Je parlais hier de la France sous prozac : Claire Chazal en est l'illustration.

lundi 7 septembre 2015

L'exemple allemand



Des foules qui applaudissent dans les gares les réfugiés syriens, un pays qui leur ouvre très largement ses portes, avec détermination et enthousiasme, sans crainte : j'aurais aimé que ce soit la patrie des Droits de l'Homme et de la Grande Révolution qui montre l'exemple, mais ce n'est pas en France que nous avons connu ce week-end de pareilles scènes, c'est en Allemagne. Chez nous, nous en sommes restés à quelques petits défilés compassionnels et des pétitions d'artistes.

C'est que l'Allemagne est puissante, et quand on est fort, on peut tout se permettre, on peut se montrer généreux et sûr de soi. Nos partenaires et amis d'outre-Rhin ont relancé leur économie, réglé en grande partie le problème du chômage, entrepris de grandes réformes qui ne conviennent pas toutes à mon cœur de socialiste. Mais les résultats sont là, et le moral élevé qui va avec.

En 20 ans, nos voisins germains ont produit des dirigeants de haute volée, Gerhard Schroeder à gauche, Angela Merkel à droite, un homme et une femme d'autorité, qui n'ont pas d'équivalents en France. Dominique Strauss-Kahn et Philippe Séguin auraient pu être de cette trempe, si le destin leur avait souri.

L'Allemagne est gagnante, parce qu'elle a relevé et remporté un incroyable défi, celui de sa réunification, comme de Gaulle, dans les années 60, avait su chez nous affronter et régler le problème de la décolonisation. Mais depuis 20 ans, quels sont les grands défis auxquels la France s'est attaquée ? Dès qu'une réforme un peu ambitieuse est mise en place, c'est tout de suite pour être contestée et souvent dénaturée. Notre pays, qu'il soit gouverné par la gauche ou par la droite, est dans un état de déprime : on a l'impression que nos concitoyens ne croient plus en rien. Comment s'ouvrir au monde quand on est sous prozac ?

Et puis, il y a cette folie, cette grave maladie, que les autres pays observent avec ahurissement : l'extrême droite qui arrive en tête des sondages au premier tour d'une élection présidentielle ! Comment notre République peut-elle nourrir en son sein ce poison, si étranger à sa tradition, à son génie, à sa grandeur ? L'Allemagne aussi a ses racistes et ses nationalistes, mais ils ne sont pas présidentiables.

La gauche allemande a su faire évoluer sa puissante social-démocratie, depuis plus d'une cinquantaine d'années, alors que les socialistes français en sont encore à débattre pour savoir s'il faut aimer l'entreprise ou pas, si la finance doit être notre ennemi ou non ... Mais quand donc la France redeviendra-t-elle, à son tour, exemplaire ?

dimanche 6 septembre 2015

Questions sur les migrants



1- Imposer des quotas ? L'Allemagne dit oui, la France dit non. Le raisonnement de Bernard Cazeneuve est le suivant : se donner un quota, c'est refuser tous ceux qui dépassent son nombre. Mais c'est un sophisme : le problème des pays européens n'est pas dans le rejet, mais dans l'acceptation des migrants. Pour cela, le plus raisonnable et le plus efficace est en effet d'imposer des quotas.

2- Prêt à héberger un migrant chez soi ? Moi non, pour des raisons qui me regardent. Mais la question est démagogique, manipulée par l'extrême droite, qui croit repérer ainsi une fausse contradiction. Car ce que nous demandons, ce n'est pas la charité privée, c'est la solidarité publique, qui passe par un accueil au niveau des municipalités volontaires.

3- Distinguer réfugiés politiques et migrants économiques ? Ceux qui le proposent veulent accepter les uns et refuser les autres, à la façon de Nicolas Sarkozy. Mais le distinguo n'est pas évident. Et puis, ceux qui sont là, on ne va tout de même pas les renvoyer d'où ils viennent, en enfer, que ce soient la guerre, la dictature ou la misère.

4- Des camps de rétention dans les pays d'origine ? C'est la seule proposition de l'extrême droite, qui veut bien exercer sa compassion, mais pas à domicile. Ceux qui viennent chez nous fuient leur pays : ce n'est pas pour accepter d'y séjourner encore plus, là ou ailleurs, derrière des barbelés, en attendant on ne sait quoi.

5- Qui est responsable de la situation ? La misère et l'islamisme, mais certainement pas l'Europe ou l'Amérique, comme on l'entend dire parfois. Ou alors, il faut faire remonter la faute à Winston Churchill, lorsque celui-ci a mis en place un découpage désastreux du Moyen Orient.

6- Intervenir militairement en Syrie ? Oui, c'est la conséquence logique : les milliers de Syriens qui fuient leur pays sont chassés par les terroristes de Daech. S'il y a un coupable à punir, c'est celui-là.

samedi 5 septembre 2015

Encore les 35 heures



Nous vivons dans une société où l'actualité passe très vite. Je ne connais pas une seule réforme dont on parle encore 15 ans après sa mise en marche : c'est pourtant le cas des 35 heures. Cette permanence est révélatrice de l'intérêt que nous portons à notre rapport au travail. Hier, le journal Les Echos publiait un sondage révélant que 71% des Français souhaitaient que la durée du travail soit fixée au niveau des entreprises, par les salariés et les patrons eux-mêmes. Les commentateurs en ont déduit à la fin des 35 heures.

C'est aller un peu vite en besogne. Depuis que les 35 heures existent, elles ont toujours été discutées et contestées, souvent avec passion. Mais je crois en même temps que nombre de Français tiennent à leurs fameuses RTT. En revanche, la mentalité contemporaine, individualiste, veut avoir le choix, réclame de la souplesse et n'accepte pas qu'on lui impose quoi que ce soit : les 35 heures, oui, si je veux ! pour parodier un slogan publicitaire. On n'imagine pas une société dans laquelle il n'existerait pas une durée légale du temps de travail !

Ceci dit, autoriser les entreprises à décider de leur temps de travail n'est pas sans poser de problèmes, essentiellement pour les salariés : le pouvoir des syndicats, qui restent quand même les représentants légitimes et les défenseurs de leurs intérêts, en prendrait un sacré coup. Que se passerait-il dans des milliers de petites et moyennes entreprises sans sections syndicales ? Les salariés seraient livrés à l'autorité du patron, sans véritablement les moyens de négocier quoi que ce soit.

Mais il n'est pas non plus possible, pour la gauche, d'ignorer cette demande de liberté à l'égard des 35 heures. Le problème est également culturel : initialement, la réduction du temps de travail est une revendication des classes moyennes, en vue d'obtenir plus de loisirs (le "temps libre", comme on disait en 1981). Les grandes gagnantes de la loi Aubry, ce sont elles. Les classes populaires sont plus réservées, quand ce n'est pas franchement critiques, et dès les débuts de la réforme : elles veulent avoir du boulot, un travail stable et un salaire correct. La réduction du temps de travail n'est pas dans leurs premières préoccupations. Il est urgent que le parti socialiste reconsidère ses priorités en quelque sorte sociologiques, et pas seulement en matière de durée du travail.

vendredi 4 septembre 2015

Enfin et hélas



Il aura fallu HELAS la photo d'un enfant mort sur une plage, rejeté par la mer, pour que la France et l'Allemagne s'accordent ENFIN sur un accueil systématique et obligatoire des migrants en Europe. Alors que la crise sévit depuis trois ans, alors qu'elle s'est accrue depuis trois mois ! Ce n'est pas à l'honneur de nos dirigeants que de réagir ainsi, sous le coup d'une émotion médiatique (voir le billet d'hier). Comme si le corps sans vie d'un enfant couché sur un cliché avait plus de valeur que des centaines d'autres, enfants, adultes, vieillards qui meurent en toute indifférence.

Les vieilles nations du continent auront été bien peu exemplaires, et certaines carrément égoïstes, quand ce n'est pas xénophobes. La Commission européenne, au contraire, aura montré le bon chemin, en proposant depuis longtemps le système de répartition qui s'impose aujourd'hui. C'est l'évidence : l'avenir est à plus d'Europe et moins de nations !

Même mes amis socialistes ont été trop timides, trop prudents dans cette affaire, défendant certes de généreux principes, mais refusant, encore maintenant, de prononcer le mot politiquement décisif : quotas par pays pour recevoir les réfugiés. L'Allemagne, c'est un comble, fait mieux que nous, se montre volontaire, avance des chiffres, tient des propos justes et éclairants : sur ce point, Angela Merkel est une grande dirigeante.

La presse nationale, de son côté, n'aura résisté à la pression qu'une seule journée, avant de céder à la diffusion de la photo, Le Monde en premier, qui était pourtant, par le passé, le grand journal de référence, réputé pour son sérieux et son austérité, se refusant, comme le Canard Enchaîné, à illustrer ses papiers par des photos.

France 2 a trouvé une solution intermédiaire, qui prouve bien l'embarras des médias : la photo oui, mais le visage de l'enfant flouté. Cette décision-là est la pire : elle me fait penser, en matière d'hypocrisie et de fausse convenance, aux photos érotiques quand j'étais ado, où les tétons et les poils pubiens étaient eux aussi floutés. Pornographie du corps, pornographie de la mort, même indécence (pour le corps, c'est moins grave, les dames généralement sont volontaires et rémunérées).

Un quotidien résiste et argumente : La Croix. Réfléchissons au paradoxe d'un journal catholique, qui défend des valeurs de pitié, de charité et de miséricorde et qui refuse cependant de s'associer à tous ceux qui prétendent agir au nom de l'éveil des consciences, de la compassion et de la générosité.

Autre paradoxe : notre société, contrairement à celles du passé, cache ses morts, bâcle les obsèques, répugne à regarder le corps des défunts ... sauf au cinéma, où nos films sont pleins de morts et de meurtres. On est prêt à voir la mort en photo, mais sa réalité la plus directe, la plus concrète nous effraie. On veut bien représenter la mort, mais pas la voir ni la toucher réellement.

jeudi 3 septembre 2015

Indécentes images



C'est l'honneur de la presse française de n'avoir pas publié ce matin la photo d'un enfant mort, sur une plage, après avoir tenté comme bien d'autres migrants de rejoindre à la nage l'Europe. Les journaux du continent n'ont pas eu cette pudeur. Nos réseaux sociaux, bien sûr, n'ont pas hésité : mais est-ce qu'on peut attendre d'une auge à cochons qu'elle soit propre ?

Indécence, oui, car il y a des choses, dans la vie, qu'on ne montre pas, surtout à l'insu de ceux qui sont ainsi photographiés : un corps nu, un défunt. Le sexe et la mort sont des tabous, dans n'importe quelle civilisation, et qui doivent le rester. Sommes-nous encore civilisés ? Il y a quelques semaines, Paris Match a publié des photos de migrants en train de se noyer en Méditerranée : où sont les barbares ? La honte s'est-elle emparée des lecteurs, des voyeurs du célèbre magazine ?

Cependant, n'avons-nous pas le droit d'être informés, y compris des horreurs de ce monde ? Oui, évidement, mais pas de cette façon-là : la photo de cet enfant, dont on ne respecte même pas les derniers instants, l'absence inhumaine de sépulture, cette photo-là n'apporte aucune information qu'on ne connaisse déjà. Elle est inutile, gratuite. Sa diffusion, pour cette raison, est obscène.

Les mauvaises intentions ne sont jamais à court d'argument : cette photo n'est-elle pas au service du Bien, en vue de faire réagir les populations, de les amener à un peu plus de compassion à l'égard des migrants ? Non, la générosité ne repose pas sur l'émotion, surtout pas sur celle-là. Quant à l'accueil politique de ces pauvres gens (voir le billet d'hier), c'est une affaire de raison, pas de sentiment.

L'usage public de nos émois est une manière détestable, une hypocrisie, une manipulation. Les sentiments n'ont de sincérité que dans la sphère privée, de personne à personne. Etalés au grand jour, ils deviennent un mensonge, une comédie. Plus trivialement, nos indécentes images permettent de gagner de l'argent en exploitant la vicieuse curiosité qui est en chacun d'entre nous. La presse française, aujourd'hui en tout cas, a résisté à cette bassesse : bravo !

mercredi 2 septembre 2015

L'été meurtrier



La politique est liée à la tragédie, quand il est question du malheur des hommes. C'est ce qui se passe sous nos yeux, du nord au sud de l'Europe, jusqu'au fin fond de nos départements : c'est le sort des migrants, qui frappent et meurent à nos portes. L'événement politique de l'été aura été celui-là, dont nous portons le deuil, sans sembler lui donner de solution.

La fausse solution, nous la connaissons : déni de la mondialisation, repli derrière les frontières, égoïsme national, identité artificielle. C'est le chant de mort et d'illusion des souverainistes et de l'extrême droite. Jamais l'humanité n'a vécu barricadée dans des forteresses, sinon pour y périr. Depuis la préhistoire, la civilisation s'est développée à travers d'immenses migrations tout au long de la planète. C'est le mouvement de la vie : on peut l'organiser, on ne peut pas l'arrêter.

La première puissance actuelle au monde, les Etats-Unis d'Amérique, sont nés et se nourrissent de la migration de nombreuses populations. Quand on reste entre soi, on disparaît : c'est la grande leçon, à tous les niveaux de l'existence. Aujourd'hui, la riche Europe est le refuge de ceux qui fuient la misère, la démocratique Europe est le refuge de ceux qui fuient la dictature. C'est un fait, et c'est à nos gouvernements de trouver des solutions.

Ma tradition politique, le socialisme réformiste, a les moyens intellectuels de répondre à ce défi. D'abord parce que c'est un courant qui a toujours été internationaliste, qui peut donc penser les difficultés présentes à l'échelle du monde, sans qu'aucun complexe nationaliste ne l'entrave. Ensuite parce qu'il a constamment défendu le fédéralisme européen, qui est l'échelon et la structure pertinents de résolution du problème migratoire.

Les principes sont nécessaires, mais ne suffisent pas : il faut avancer des mesures concrètes et immédiates. J'avais salué Jean-Pierre Raffarin, il y a deux mois, lorsqu'il avait suggéré que les communes rurales prennent en charge les migrants. C'est ce qui se passe en Italie, et qui marche très bien. C'est ce qu'on essaie de faire en France, encore trop timidement. A l'échelle locale l'accueil des migrants, au niveau européen la répartition selon des quotas par pays. Si l'on ne va pas vers ça, il n'y aura plus d'Europe, plus de démocratie et plus de socialisme réformiste. Que l'été meurtrier laisse place à un automne plus doux, plus porteur d'espoir.

mardi 1 septembre 2015

La morale à l'école



L'une des innovations de cette rentrée scolaire, c'est l'introduction d'un enseignement moral et civique, de l'école au lycée. Je n'y suis pas très favorable, depuis longtemps et pour de multiples raisons. D'abord, c'est un débat ancien qui a déjà été réglé, croyait-on : il y a une quinzaine d'années, on en parlait, et l'ECJS (Education civique, juridique et sociale) a été instaurée, c'est-à-dire la bonne vieille instruction civique. Pourquoi ne pas en rester là ?

Il y manquait la morale ? Sans doute, mais celle-ci n'a pas à être transmise à l'école : elle relève de la sphère familiale, de l'éducation privée que reçoit tout un chacun. De plus, la nouvelle discipline s'est imposée sous le coup des événements : l'attentat terroriste contre Charlie hebdo. Je ne suis pas partisan de programmes scolaires qui seraient construits en fonction de l'actualité, aussi tragique soit-elle.

On se réfère à la notion de morale laïque, mais cette formule est contradictoire : la laïcité, c'est tout le contraire, c'est la neutralité dans les choix éthiques, qui relèvent de la liberté individuelle. Autant il existe une morale chrétienne, autant il n'y a pas de morale laïque. Toute morale implique une représentation du monde, une certaine conception du Bien et du Mal : ce sont des concepts lourds, discutables, idéologiques, que l'école publique ne peut pas se permettre d'imposer à ses élèves.

Mais, me direz-vous, et la morale des instituteurs d'autrefois, l'école de Jules Ferry, les sentences chaque matin inscrites au tableau noir ? La nostalgie et l'oubli sont de mauvais conseillers. On ne peut pas confondre quelques règles élémentaires et indispensables de savoir-vivre (au même titre que les prescriptions d'hygiène) avec la morale. D'ailleurs, tout enseignement secrète ses propres principes de vie collective (arriver à l'heure, obéir au maître, faire son travail, etc.). C'est quelque chose qui se vit, dans l'exercice du métier, du côté de l'enseignant comme du côté de l'élève ; ce n'est pas quelque chose qui s'enseigne, à la façon d'une matière intellectuelle.

Et puis, j'ai souvent remarqué que ceux qui font la morale aux autres se gardent bien de se l'appliquer à eux-mêmes. Parce que la morale, dont la politesse est le plus bas degré, c'est aussi un exercice d'hypocrisie sociale, sans doute inhérent à la vie en collectivité. Le gouvernement a choisi de surfer sur l'air du temps, fortement moralisateur : ça ne mange pas de pain, personne n'y trouve à redire. Je ne vais quand même pas le lui reprocher.